Être sportive et étudiante en France aujourd’hui c’est quoi ?

9 janvier | Actualités | Sylvain CALLEJON

Par Fanny Monéger (athlète de haut niveau en athlétisme). Article publié le 8 janvier 2019 sur LinkedIn (lien).  

D’abord c’est de la volonté.

«- Fanny tu viens à la soirée ce soir ? -Non, j’ai entrainement désolée. -Ouais mais tu peux passer après. -Oui je verrai, mais je rentre tard, je suis fatiguée et demain on prend à 8h ». Ça, ce sont des conversations quasi hebdomadaires. « Et vendredi ? -Non, j’ai entrainement/compétition demain matin ! Oui le samedi je me lève à 8h pour petit-déjeuner, digérer et m’entraîner. » On s’habitue. Les autres aussi. Mais à côté de ça il y en a qui se disent ; « ah ouais mais elle sort jamais celle-là, c’est nul, elle est pas fun ! ». Bref des moments de socialisation surement ratés.

Occasions ratées ici certes ; mais gagnées ailleurs ça ne fait aucun doute. Car s’entraîner tous les jours et vivre à fond son sport c’est partager des moments inoubliables et extraordinaires avec ceux qui ont la même passion. Celle de rester des heures au stade. Être sportif, je ne vous apprends rien, c’est aussi être motivée chaque jour pour aller s’entraîner. Pour moi, ce n’était vraiment pas le plus dur, c’était vraiment un plaisir. Quand on me demandait comment je faisais pour y aller tous les jours, moi je leur répondais: « Mais moi je me demande comment tu fais pour rester chez toi le soir à rien faire! » Mais ne vous inquiétez pas, on fait quand même la fête, hein ! C'est juste quand quand je ne vais pas à l'entraînement j'ai directement tendance à m'ennuyer chez moi.

Ensuite, c’est un peu de chance.

J’ai eu l’impression d’avoir des facilités à l’école depuis toujours et surtout d’aimer ça, et j’ai côtoyé des athlètes pour qui ce n’était pas le cas et qui ont un peu plus galéré pour concilier les deux. Merci à ma matière grise alors. C’est la chance d’avoir des parents qui pouvaient me soutenir dans mes choix, financièrement, moralement, et qui ont vécu ma passion avec moi en s’y impliquant. C’est avoir des amis, des amours, compréhensifs, présents ou bien même qui vivent la même chose de leur côté. C’est aussi avoir des camarades d’entrainement ou de compétition géniaux (qui deviennent des amis pour la vie). C’est la chance d’avoir un staff médical présent, compétent et à l’écoute. C’est avoir un coach incroyable, qui nous pousse vers le haut, qui s’investit par passion, avec un métier et une famille à côté. Enfin, des installations d’exception et un club très formateur, efficace, qui met des moyens pour notre réussite malgré ses difficultés financières, puisque le sport n’est clairement pas prioritaire là où nous vivons. « Tu te rends compte de la chance que tu as, et des conditions dans lesquelles on s'entraîne quand même. » Ça c'est clair, à Clermont, c'est idéal au niveau de l'athlétisme, et la taille de la ville est idéale pour plein de choses. (On retiendra juste que ce n'est pas pratique pour aller à Lille en bus sur un week-end).

C’est de l’aide, bien sûr.

L’aide du système universitaire et de mon école (Polytech Clermont), grâce auquel j’ai pu bénéficier du statut de sportive de bon et haut niveau et qui a permis d’aménager mon cursus. Du soutien de certains professeurs, qui s’intéressent un peu plus à mon cas et qui essayent de comprendre ce que je fais, pourquoi parfois j’ai l’air fatigué ou pourquoi j’ai eu un carton au dernier devoir. Et puis l’aide de tous ceux que j’ai cités au-dessus bien entendu. « Aie confiance en toi bon sang! » #pointfaible

C’est de l’acceptation.


Accepter d’aller aux rattrapages parce qu’on n’a pas eu le temps d’assez travailler, ou même parfois pas assez de motivation (personne n’est infaillible). Accepter de réviser son bac de philo ou un partiel terminal sur le bord du stade parce qu’on a une compétition importante la veille. Accepter d’arriver en cours fatiguée, pas concentrée, courbaturée. Accepter de passer autant d’heures avec son coach qu’avec son père. Accepter que son profil puisse beaucoup plaire à certains recruteurs, mais aussi en rebuter au premier coup d’œil sur le CV. Accepter de ne pas partir en vacances en juillet, car les championnats ont lieu à cette époque, et parfois même prolonger jusqu’en août.

« -Je suis en vacances début juin mais j'ai encore deux mois à rester ici pour m'entraîner. -Chaud ta vie! » C'est pourtant celle que j'ai choisie de mener!

Et puis c’est aussi un peu de folie. Choisir 7 épreuves au lieu d’une par exemple, histoire de se simplifier la vie : 7 fois plus de souffrance plaisir !!! (je pratiquais l’heptathlon).

À titre personnel, j’espère que des progrès vont être faits dans le domaine de l’accompagnement des sportifs de haut niveau, chez les jeunes, mais également après, que cela soit sur l'accompagnement financier, mais aussi dans les aménagements et la conduite vers l’insertion professionnelle. Je pense avoir été chanceuse et je sais que ce n’est clairement pas le cas de tout le monde, et même avec ces conditions quasi idéales, cela n’a pas été facile tous les jours. De toute façon, ça a été plus dur dès lors où j'ai dû faire des stages, m'éloigner de mon cocon parfait. J'ai choisi de partir à l'étranger pour le bien de mon CV, et à un moment j'ai préféré privilégier ma carrière professionnelle plutôt que ma passion. Dommage d'avoir dû choisir, c'est sûr.

Avec une expérience au Canada, j’ai pu voir quel retard avait la France en la matière : c’est regrettable. Sur le continent américain, les sportifs étudiants sont rois, et ont même plus de portes ouvertes que les étudiants « normaux ». Autant dire qu’on est loin du compte. Les étudiants sportifs doivent gérer tellement de choses au quotidien, qu’ils en deviennent plus battants et plus multitâches. Car lorsque l’on s’investit dans notre sport c'est dans l’assiette, dans les horaires de coucher et de lever... C'est 7/7j et 24/24h, en plus de tout le reste. C’est galérer avec trois sacs toute la journée parce qu’on apporte notre repas, nos affaires d’entrainement et qu’en plus on a mis une robe, pour changer du jogging: « Oh Fanny, je t’avais pas reconnue dans ton habit civil. »

Je souhaite vraiment remercier toutes les personnes qui ont croisé mon chemin ces années-là (2010-2018).

J’ai commencé à m’entraîner quotidiennement en 1ère et j’ai ensuite choisi de me lancer dans des études longues. 8 ans, un bac avec mention, un diplôme d’ingénieure, plusieurs médailles nationales et une sélection internationale plus tard, m’en voilà sortie vivante et fière du chemin que j’ai parcouru. Il a été sinueux, mais ça y est !

«Maybe I'm wasting my young years »: j'ai souvent eu ce refrain de London Grammar en tête. Mais maintenant je suis sure que non, je n'ai pas gâché mes jeunes années, bien au contraire. 

photo : P. Ferrand