[Livre Blanc Allyteams] L'interview de Ganesh Pedurand
Ancien sportif de haut niveau en natation, Ganesh a fait partie de l'Équipe de France entre 2010 et 2016. Il a, par ailleurs, été 6 fois champion de France. Après des études qui l'ont conduit à Sciences Po Paris, il a intégré le Cabinet de conseil Capgemini.
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Ganesh, comment a débuté votre carrière sportive ?
Ma carrière sportive a commencé très tôt et s’est construite par étapes. Elle a débuté en Guadeloupe dont je suis originaire. À mon entrée au collège, mon coach a obtenu auprès du collège un aménagement de mon emploi du temps puisque je m’entraînais déjà environ 5 à 6 heures par jour.
Si à l’époque une réflexion visant à favoriser les emplois du temps des sportifs de haut niveau émergeait, il y avait peu d’aménagements mis en place. Au lycée, l’organisation était meilleure. Il y avait une classe réservée aux sportifs de haut niveau permettant l’aménagement des journées et donc laissant le temps de s’entraîner.
Puis, j’ai quitté la Guadeloupe à l’âge de 16 ans pour rejoindre le Centre de Ressources, d’Expertise et de Performance Sportives (CREPS) de Toulouse.
Votre choix de quitter la Guadeloupe pour Toulouse était-il uniquement lié au sport ?
Oui, j’ai quitté la Guadeloupe pour le sport car, en Guadeloupe, il y a globalement de bonnes conditions d’entraînement, mais la réelle difficulté est la confrontation avec l’extérieur car se confronter régulièrement à des adversaires via les meetings et les sélections sur le territoire national et en Europe nécessite des allers- retours et donc des frais extrêmement importants. Or, les structures n’ont pas les moyens suffisants.
Ainsi, même en ayant de bonnes structures d’entraînement (ce qui est le cas pour la natation en Guadeloupe), j’ai décidé de quitter mon île natale pour rejoindre le CREPS de Toulouse afin d’être dans un environnement plus propice à la performance sportive.
Je ne souhaitais cependant pas mettre de côté mes études et j’avais pour ambition de m’inscrire dans le cadre d’un « double projet », mais j’ai vite constaté les difficultés dans la mise en œuvre de celui-ci.
Quelles sont les principales difficultés que vous avez constatées ?
J’ai déjà constaté la difficulté des établissements d’enseignement à adapter leur fonctionnement à des sportifs de haut niveau et ce, pour plusieurs raisons.
En France, il y a de grandes inégalités entre les universités qui pourraient être qualifiées de « haut niveau », les grandes écoles (commerce, ingénieurs) reconnues, les instituts d’études politiques et les universités ou écoles à moindre réputation.
La grande réputation de certaines universités et écoles prisées par de nombreux étudiants ne pousse pas ces structures à vouloir s’ouvrir aux sportifs de haut niveau et à créer des programmes spécifiques adaptés à ces derniers car elles n’ont pas besoin de ces programmes pour conforter leur réputation.
Pour les établissements universitaires et écoles moins réputés, la création de programmes spécifiques aux sportifs de haut niveau pourrait notamment leur apporter de la notoriété. Mais la difficulté est liée, à mon sens, à des contraintes budgétaires, la mise en place et la gestion de ces programmes spécifiques étant onéreuses.
La difficulté vient également à mon sens des institutions sportives et notamment des fédérations qui sont souvent organisées de manière très verticale avec un état d’esprit conservateur et sont donc peu ouvertes à l’innovation.
Si certaines fédérations communiquent sur l’existence dans leur organigramme d’une personne ayant pour fonction le suivi et l’accompagnement des sportifs dans la construction de leur future carrière professionnelle, peu voire aucun moyen n’est alloué à cette personne qui ne reçoit pas non plus d’objectif précis. C’est dommage.
Vous n’avez donc pas eu de suivi pendant votre carrière sportive de la part des différentes entités sportives ?
Durant ma carrière, je recevais un mail par an de la fédération me demandant d’indiquer mon cursus scolaire dans lequel il était précisé que la réponse permettrait un suivi et l’octroi d’aides personnalisées. Cependant, aucune suite n’a jamais été donnée à mes réponses et je n’ai aucune idée de la manière dont les informations transmises ont été utilisées.
Je nuancerai cependant mon propos en disant qu’au CREPS de Toulouse, je faisais partie d’une structure qui était peut-être l’une des premières structures à avoir déjà compris la démarche du « double projet » et qui tentait de la favoriser. Les responsables avaient une approche pragmatique et savaient que la majorité des sportifs formés ne vivraient pas de leur sport.
Ainsi, jusqu’au bac, j’ai connu un réel accompagnement avec des réunions mensuelles entre les responsables de l’établissement scolaire et les responsables du CREPS.
En revanche, après le bac, l’accompagnement du CREPS et de la Direction régionale jeunesse et sports, se faisait de manière assez ponctuelle et sans synchronisation. Si ces entités ont tenté de réaliser un suivi, elles n’ont pas réussi à organiser une véritable coordination ce qui avait pour conséquence de rendre les démarches menées inefficaces.
Est-il donc possible selon vous de mener un « double projet » pour un sportif de haut niveau ?
Oui, car des modèles de « double projet » existent. À titre d’illustration, j’ai souvenir que le CREPS de Toulouse avait des partenariats avec des écoles, notamment l’INSA. Le coach du sportif concerné avait des points réguliers avec l’administration de l’INSA et lorsque les résultats ne suivaient pas le sportif devait réduire ses heures d’entraînement pour rattraper son retard et bénéficiait notamment d’un tutorat.
Cependant, ces modèles sont trop peu nombreux à mon sens. Il est donc primordial de les développer et dupliquer, ce qui nécessite notamment une coordination entre l’établissement scolaire et la structure sportive et que chaque partie tienne ses engagements sur le long terme.
Il y a donc un boulevard pour créer des systèmes plus performants que ceux qui existent aujourd’hui.
Ne pensez-vous pas que l’obtention des JO 2024 par Paris va encourager les écoles à mettre en place des programmes adaptés aux sportifs de haut niveau et les entreprises à recruter des sportifs ?
L’obtention des Jeux Olympiques 2024 peut être un facteur de mise en lumière de l’apport que peuvent constituer les sportifs pour les entreprises car cet évènement va constituer un levier économique dans les années à venir et permettre au secteur du sport d’être sur le devant de la scène.
Je ne doute pas que les entreprises vont saisir l’opportunité de se rattacher aux valeurs véhiculées par l’olympisme et, plus généralement, par le sport. Cependant, je crains que, si la France et plus particulièrement les entreprises en restent à ces considérations, cela ne permettra pas de régler le problème structurel.
J’espère donc que les Jeux Olympiques pourront être utilisés pour encourager les entreprises à investir car la création et la gestion par des écoles de programmes adaptés aux sportifs de haut niveau sont onéreuses, notamment car ils demandent de s’adapter à l’emploi du temps de chaque sportif.
Un développement des partenariats école/entreprise pourrait alors permettre aux entreprises d’intégrer dans leurs effectifs des sportifs de haut niveau qui bénéficieraient en parallèle d’une formation reconnue et qui serait financée par l’entreprise.
Quel est votre parcours universitaire ?
J’ai un parcours qui n’est pas rectiligne et qui est, à mon sens, le reflet des conseils très approximatifs dont j’ai pu bénéficier pendant ma carrière de sportif, même si je reconnais avoir été entouré de personnes qui valorisent la démarche d’un « double projet ».
J’ai d’abord suivi une année de médecine. Au terme de cette première année, j’ai intégré une école de journalisme non reconnue. J’ai, par la suite, décidé de passer les concours pour intégrer une école reconnue et suivi trois ans d’école de journalisme de 2012 à 2015, date à laquelle j’ai été diplômé.
Parallèlement, j’ai essayé de me qualifier aux Jeux Olympiques de Rio entre 2015 et 2016, puis en 2016, j’ai intégré la filière de sportifs de haut niveau de Sciences Po Paris qui prépare le concours d’entrée aux masters. En 2017, j’ai intégré le Master Politiques Publiques spécialité Énergie, Ressources, Développement durable et été diplômé en mai 2019.
Avant même d’être diplômé, j’ai intégré en CDI le cabinet de conseil Capgemini et je travaille actuellement au sein de la branche « Market unit Energy and Utilities ».
Comment valorisez-vous dans votre activité professionnelle les compétences acquises lors de votre carrière sportive ?
J’ai mis en lumière ma carrière de sportif de haut niveau lors des entretiens professionnels en faisant
le lien entre les valeurs de l’entreprise et l’investissement que j’étais prêt à mettre au quotidien dans mon travail. Je pense cependant que les capacités développées durant ma carrière transparaissent plus par l’action que par les mots.
En effet, aujourd’hui, j’ai un rythme de travail soutenu nécessitant de la concentration tout au long de la journée ainsi que de la détermination pour réussir à mener les projets à terme. Je mobilise alors les mêmes ingrédients que lorsque j’étais nageur: un fort investissement, de la curiosité,la remise en question et cette envie de ne pas échouer, de faire partie des meilleurs.
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LIVRE BLANC L'EMPLOI DES SPORTIFS DE HAUT NIVEAU (lien de téléchargement)
Forte d’une communauté de plus de 2.500 sportifs ou ex-sportifs de haut niveau et de dizaines d’entreprises partenaires, Allyteams a voulu donner la parole aux acteurs du monde du sport, de l’entreprise et de la formation.
Ce livre blanc est l'occasion de donner la parole à 33 sportifs ou ex-sportifs de haut niveau ainsi qu’à des cadres d’entreprise et des directeurs de formation dont les témoignages offrent une grande variété :
- d’expériences dans différents secteurs d’activité au sein de PME ou de grandes entreprises;
- de compétences techniques et entrepreneuriales : ressources humaines, digital, finance, commercial, communication, marketing, droit, etc.;
- culturelle et internationale, notamment avec des entretiens de sportifs étrangers, mais aussi de sportifs nationaux au parcours international;
- au niveau démographique, des âges (15 à 75 ans) et des genres;
- d’expertise en matière d'accompagnement des sportifs avec l’apport de personnes expertes du sujet (notamment du côté des écoles ayant développées des programmes pour les sportifs).
Cette diversité témoigne du fait que chacun possède une partie de la solution aux problèmes de l’emploi et de l’employabilité des sportifs de haut niveau.