[Livre Blanc Allyteams] L'interview de Matthieu Blaschczyk
Matthieu est un ancien cavalier professionnel qui a arrêté l'école après son brevet des collèges pour se consacrer à sa pratique sportive. Il a dû mettre prématurément un terme à sa carrière après une grave blessure. Après avoir obtenu un DAEU, il s’est orienté vers des études de droit.
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Pourriez-vous nous présenter votre parcours de sportif ?
J’ai été cavalier / cavalier professionnel pleinement à partir de l’âge de 15ans. J’ai travaillé des chevaux pour différents propriétaires dans le Nord Est de la France jusqu’à mes 18 ans.
Puis, j’ai eu l’opportunité d’intégrer en 2012 les écuries de Kevin Staut (cavalier international et champion olympique à Rio) pour la préparation des Jeux Olympiques de Londres. Je m’occupais essentiellement de la préparation physique et du dressage des chevaux en vue des échéances internationales (notamment la Coupe du monde). Enfin, à la suite des Jeux Olympiques de Londres, j’ai rejoint le Haras de Lillebec situé en Normandie en tant que cavalier de saut d’obstacles. J’avais sous ma responsabilité 12 chevaux dans le but de participer à des compétitions nationales et internationales. Malheureusement, après un accident lors d’un entrainement, j’ai été contraint de mettre un terme prématurément à ma carrière sportive.
Si ce n’est pas trop indiscret, comment vous êtes-vous blessé ?
Je me suis blessé lors d’un entraînement. Je montais mon 12ème et dernier cheval de la journée et celui- ci a commencé à faire du « rodéo ».Je suis passé au-dessus du cheval et tombé directement sur la tête et le dos. Je me suis fracturé 4 vertèbres, au niveau des omoplates.
Au cours de votre carrière songiez- vous à l’après ?
Non, pas du tout. L’équitation, comme toute pratique sportive de haut niveau, demande énormément d’implication et de sacrifices. L’arrêt de mes études, après l’obtention de mon brevet des collèges, pour me consacrer pleinement au métier de cavalier était nécessaire. À partir de ce moment, je n’ai en aucun cas pensé à l’après- carrière. Mon envie de réussir dans ce sport, de me faire une place dans le haut niveau m’a mis des œillères et j’étais certain que je resterais dans le milieu de l’équitation tout ma vie. Mes parents devaient sûrement penser à l’après-carrière en cas de blessure grave, mais ils ne m’en ont jamais réellement parlé pendant toutes ces années, de peur sûrement de me froisser ou me donner l’impression qu’ils ne me suivaient pas dans mon choix de carrière.
A la suite de mon accident, et après pratiquement une année de rééducation, je me suis retrouvé
sans aucun diplôme ; mes amis eux entamaient déjà leur 2ème ou 3ème année à l’Université. J’avais l’impression que j’étais incapable de réussir à obtenir le Baccalauréat, de retourner dans un lycée avec un retard de 3 ans et, surtout, je ne savais pas du tout ce que je pourrais faire d’autre que monter à cheval. Quelle angoisse quand j’y repense ! Je ne vais pas vous surprendre en vous disant qu’il est très compliqué, lorsqu’on a été en dehors du cursus scolaire classique pendant quelques années, d’y retourner. J’ai eu très peu de soutien et d’aide à ce moment-là. Mes proches étaient pessimistes et les premiers à tirer la conclusion que je n’aurais jamais dû être sportif.
Étiez-vous rémunéré au cours de votre carrière ?
Oui, j’étais rémunéré soit en tant que salarié lorsque je travaillais spécifiquement pour le Haras de Lillebec, soit en tant que prestataire de sportif lorsque j’avais des chevaux de différents propriétaires.
Avez-vous participé aux JO ?
Non, je n’y ai pas participé en tant que cavalier pour l’Equipe de France. Les quatre cavaliers de saut d’obstacles qui sont sélectionnés pour représenter la France aux JO ont chacun une équipe toute l’année qui prépare l’ensemble des chevaux pour les différentes compétitions ainsi que le cheval sélectionné pour les JO. Mon travail a été de préparer physiquement le cheval et d’entretenir le dressage du cheval sélectionné pour les JO afin qu’il arrive au top de sa forme et de son dressage pour l’échéance.
Comment avez-vous fait pour reprendre vos études et finalement intégrer l’un des meilleurs Master 2 de droit en France au sein de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) ?
Le parcours pour y parvenir a été très long. J’avais cette idée que le BAC était obligatoire pour accéder à des études universitaires et je ne me sentais pas du tout capable de réussir à l’obtenir. Puis, on m’a parlé d’un diplôme, le DAEU (Diplôme d’accès aux études universitaires), très peuconnu, même par les universités françaises, qui permet d’obtenir rapidement une équivalence du BAC pour pouvoir s’inscrire à l’université. Une fois ce diplôme obtenu, j’ai décidé d’étudier le droit à la Faculté de Nancy. Mon grand-père était avocat et me parlait beaucoup de ce métier. Cette filière m’a beaucoup plu. Je me suis spécialisé en droit du travail en 4ème année et j’ai en effet eu la chance d’intégrer l’année dernière le Master 2 DPRT d’Assas dirigé par le Professeur Cesaro dont je viens d’être diplômé. Enfin, j’ai passé en septembre 2019 le concours d’entrée à l’école d’avocats. J’attends les résultats avec un petit stress.
Bravo pour ce très beau parcours universitaire assez impressionnant après un arrêt de plusieurs années à la suite du Brevet des collèges et sans être passé par le lycée. Quelle a étéla principale difficulté que vous avez rencontrée au cours de ces années ? À quel âge d’ailleurs avez-vous repris vos études ?
J’ai repris mes études à 22 ans après l’obtention de mon équivalence du BAC. La principale difficulté a été le peu de soutien que j’ai pu avoir ou que mes parents, qui eux m’ont soutenu, ont purecevoir. Je n’en veux à personne bien évidemment mais cela fait vraiment douter. Je me souviens encore de la tête de certaines personnes à qui j’expliquais avoir arrêté l’école à la fin du collège et que je souhaitais suivre des études de droit sans être passé par un lycée. Il ne fallait pas être très observateur pour comprendre que je n’étais pas le cheval sur lequel miser. J’étais considéré comme un sportif ayant raté la dernière marche et qui n’arriverait pas à suivre des études supérieures au regard de son parcours. Je n’ai pas lâché pour autant et la validation de mes années en droit m’ont permis de prendre confiance. Au fil du temps, on m’a regardé de moins en moins comme un sportif mais de plus en plus comme un étudiant en droit comme les autres.
Le fait d’être un peu plus âgé et d’avoir un vécu aussi riche au moment de la reprise de vos études n’a-t-il pas rendu difficile votre intégration auprès d’étudiants plus jeunes ?
Oh que si ! Pendant ma carrière sportive, je ne m’intéressais qu’à l’équitation. Je connaissais tout sur le monde de l’équitation et ne m’intéressais à rien d’autre, ce que je regrette maintenant, même si j’ai rattrapé ce retard. Les étudiants, professeurs, professionnels parlaient de politique, d’actualités diverses,
de concepts philosophiques. Je ne connaissais rien à cela. Dans ce cas, l’intégration peut être plus difficile et on peut vite se mettre à l’écart. J’ai évité de tomber dans cette solitude. Il fallait que j’avance et que j’oublie le passé pour regarder devant. Être en mouvement et tourné vers l’avenir explique en grande partie ma réussite en droit. Mais tout reste à construire car un diplôme est un moyen et pas une fin.
Que vous a apporté votre carrière d’ancien sportif dans vos études et au quotidien dans votre milieu professionnel ?
L’équitation oblige à beaucoup de rigueur pour être performant. Dès ma première année de droit, j’étais encore formaté comme un sportif, avec un rythme précis de travail, de concentration et de récupération.
J’ai donc continué dans cette même dynamique pendant toutes mes années universitaires. Instinctivement, je réfléchissais comme un sportif, sur les points d’amélioration après les résultats chaque semestre à l’université afin de m’améliorer constamment.
J’ai, pour la première fois, réellement ressenti du stress et un manque de confiance au tout début à l’université. J’ai compris que cela était lié au fait que je ne maîtrisais pas cette discipline, à la différence de l’équitation, et que ce ne serait que par le travail et l’entrainement que je serais pleinement confiant et performant en droit. Je pense que le côté sportif, tacticien, compétiteur, m’a permis d’avoir cette conception qu’en acceptant l’échec, en travaillant, en réglant chaque petit détail, il était possible d’atteindre ce nouvel objectif qui est d’être juriste ou avocat.
Dans mes différentes expériences en cabinet d’avocats, le côté sportif m’aide dans la gestion de mon travail, la concentration. Je comprends plus facilement l’importance des échéances et de réfléchir à toutes les hypothèses, les possibilités dans un dossier, pour être le mieux préparer et donner une réponse complète à un client.
Avez-vous été accompagné par la Fédération d’équitation dans le cadre de l’après-carrière ? Les cavaliers sont-ils incités pendant leur carrière à envisager l’après ?
Il n’y a eu aucun accompagnement de la Fédération Française d’Équitation dans le cadre de mon après-carrière, ni aucune incitation pendant la carrière à envisager l’après. J’avais, comme tout cavalier, très peu de contact avec la FFE. Cependant, j’avais énormément de contacts avec les propriétaires qui me confiaient leurs chevaux pour concourir les week-ends et les valoriser.
Aujourd’hui, pratiquez-vous encore l’équitation à haut niveau ?
Non, je ne pratique plus l’équitation à haut niveau. C’est un sport qui demande d’être impliqué de 6 heures
à 23 heures, 7 jours sur 7. Il s’agit d’un métier incompatible avec des études ou avec un autre métier à moins d’avoir toute une équipe derrière qui vous soutient et que vous pouvez financer.
Je continue pour le plaisir à monter à cheval tout de même dès que je le peux.
Si vous aviez un conseil à donner à celui que vous étiez à 15 ans, que lui diriez-vous ?
Je referais exactement pareil ; j’ai l’impression aujourd’hui d’avoir eu deux vies. C’est tellement enrichissant d’avoir une expérience sportive. Je lui dirais juste de s’intéresser également à l’actualité et au monde extérieur, et pas uniquement à l’équitation car le retour dans une vie plus « classique » est difficile. On se sent déconnecté de la réalité et cela fait très peur les premiers temps. C’est déstabilisant. Mais est-ce qu’il aurait écouté quelqu’un dans ma situation actuelle ? Je ne sais pas. La passion est souvent plus forte que la raison.
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LIVRE BLANC L'EMPLOI DES SPORTIFS DE HAUT NIVEAU (lien de téléchargement)
Forte d’une communauté de plus de 2.500 sportifs ou ex-sportifs de haut niveau et de dizaines d’entreprises partenaires, Allyteams a voulu donner la parole aux acteurs du monde du sport, de l’entreprise et de la formation.
Ce livre blanc est l'occasion de donner la parole à 33 sportifs ou ex-sportifs de haut niveau ainsi qu’à des cadres d’entreprise et des directeurs de formation dont les témoignages offrent une grande variété :
- d’expériences dans différents secteurs d’activité au sein de PME ou de grandes entreprises;
- de compétences techniques et entrepreneuriales : ressources humaines, digital, finance, commercial, communication, marketing, droit, etc.;
- culturelle et internationale, notamment avec des entretiens de sportifs étrangers, mais aussi de sportifs nationaux au parcours international;
- au niveau démographique, des âges (15 à 75 ans) et des genres;
- d’expertise en matière d'accompagnement des sportifs avec l’apport de personnes expertes du sujet (notamment du côté des écoles ayant développées des programmes pour les sportifs).
Cette diversité témoigne du fait que chacun possède une partie de la solution aux problèmes de l’emploi et de l’employabilité des sportifs de haut niveau.