[Livre Blanc Allyteams] L'interview de Benoît Guyot
Benoît est un joueur de rugby à XV ayant évolué en Top 14 au Biarritz Olympique, puis au Stade Rochelais. Après s'être retiré des terrains, il a validé son doctorat sur la place de la technologie de l'information dans la performance sportive et conserve aujourd'hui un lien privilégié avec le sport.
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Quand a débuté votre carrière sportive ?
J’ai commencé le rugby à 12 ans et très vite côtoyé le haut niveau. À 14-15 ans, j’ai eu mes premières sélections, puis je suis entré en Pôle Espoir. Cependant, jusqu’à 20 ans, je ne pensais pas être joueur de rugby professionnel. J’ai donc toujours continué mes études.
Ainsi, jusqu’à mes 2 premières années lors desquelles j’étais semi- professionnel au centre de formation du Stade Français, j’allais à l’université. Ce rythme rugby et études me correspondait car cela me permettait d’avoir un équilibre dans ma vie et de faire constamment ce petit saut entre le rugby qui prenait beaucoup de place et mes études. Cela me permettait également de ne pas être vu uniquement comme un joueur de rugby.
Comment avez-vous fait pour gérer concomitamment sport et études ?
Quand j’ai eu mon bac, je pensais aller en école de commerce, puis je suis finalement allé à l’université ce qui m’a permis d’avoir plus de souplesse, de récupérer des cours auprès de mes amis et de toujours avoir de bons résultats. Cela n’a pas toujours été aisé car j’étais parfois marginalisé du fait de ne pas toujours être avec les autres et d’avoir une vie « parallèle » avec le rugby. Mais c’était un vrai équilibre et cela permettait de me dire que si le rugby ne fonctionnait pas, je pourrais reprendre une vie « normale ». Cette pensée je l’ai eue tout au long de ma carrière et cela a été déterminant.
De plus, à mon époque, les clubs accompagnaient bien les sportifs qui souhaitaient continuer leurs études, ce qui me semble moins être le cas aujourd’hui en raison de la professionnalisation du rugby au cours des dix dernières années. Je trouve cela dommage car c’est terrible de dire à quelqu’un qu’il ne sera qu’un joueur de rugby professionnel, c’est même dangereux, car il y aura nécessairement, même si le sportif mène une longue carrière à haut niveau, un besoin de reconversion au terme de celle-ci.
Comment avez-vous construit votre carrière professionnelle ?
Quand je suis parti du Stade Français pour Biarritz, j’ai passé cinq saisons lors desquelles j’ai eu la chance de beaucoup jouer, d’avoir des sélections en Équipe de France. À la suite de ces cinq saisons, le club a rencontré des difficultés. J’ai alors eu l’opportunité de partir à la Rochelle.
Cependant, durant ces deux annéesà la Rochelle, j’ai très peu joué. Par conséquent, à la fin de ces
deux années, comme j’avais bien commencé ma thèse, j’ai décidé d’arrêter de jouer en professionnel pour jouer en amateur.
Ce retour dans le monde amateur pendant 3 ans a joué le rôle de « sas de décompression » entre le professionnalisme et la vie réelle.
Durant ces trois années, j’ai énormément travaillé pour me réadapter à ce que j’appelle la vie « normale » et entrer dans le monde de l’entreprise.
Comment avez-vous vécu votre arrêt de carrière de sportif professionnel ?
L’arrêt de carrière est difficile car il bouleverse toute une vie. Professionnelle bien sûr, mais également personnelle. En termes d’identité, l’arrêt de carrière est violent car, du jour au lendemain, le sentiment de ne plus exister prédomine. Et, même si pour ma part j’ai toujours été considéré comme une personne structurée qui avait une thèse et qui était armé pour l’entrée dans la vie « réelle », j’ai vécu mon arrêt de carrière de plein fouet et cela n’a pas été toujours simple à gérer.
Cependant, cet arrêt de carrière, je l’ai choisi car je n’avais plus l’envie de jouer en professionnel. J’avais la sensation de ne plus être utile et d’être dépassé. Le fait d’avoir fait une thèse et de m’être construit un réseau en dehors du sport m’a permis d’avoir un soutien et un accompagnement car j’avais d’autres armes et j’avais fait mes preuves dans ma capacité à mener de front plusieurs activités, celle de joueur de rugby
mais également celle d’étudiant ayant eu la capacité de réfléchir sur des sujets et à continuer à me construire intellectuellement et en tant que personne au fil des ans.
Votre quotidien a-t-il encore un lien avec le rugby ?
Initialement, ma thèse portait sur le phénomène d’appropriation des technologies et j’ai eu l’opportunité d’intervenir auprès de la Fédération Française de Rugby sur ce sujet. Néanmoins, je me suis rendu compte rapidement qu’il était vital que je m’affranchisse du milieu professionnel du rugby pour éventuellement y revenir.
Aujourd’hui, le rugby professionnel, je ne le vis qu’à travers mes amis de manière légère et à la télévision, car c’est ma passion, mais j’ai décidé de me défaire du monde professionnel du rugby pour me construire mon propre équilibre.
Même si mon travail dans la société actuelle est lié au sport, il n’est pas directement lié au professionnalisme du sport car ce que nous essayons de promouvoir c’est l’aspect amateur de la pratique.
Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner à des sportifs en carrière ?
Un sportif a, par nature, une capacité de projection qui se limite aux prochaines semaines, les prochains matchs pour un joueur de rugby, les prochaines compétitions. Se projeter au-delà, sans le sport, c’est accepter que le sport va disparaître et c’est très dur pour le sportif car il se donne corps et âme pour son sport au quotidien, pour être le meilleur.
Mais, évidemment, mon conseil est d’encourager le sportif à s’intéresser à autre chose qu’à son sport, de lui dire de regarder autour de lui et de ne pas rester dans sa bulle complétement fermée qui est celle du club et du sport professionnel.
Le monde du sportif professionnel est un monde virtuel, qui n’existe pas, en le sportif professionnel est complètement enfermé dans un environnement dans lequel il est très rare de pouvoir être considéré comme autre chose qu’un sportif professionnel et c’est très particulier.
Quelles sont les qualités que vous avez développées grâce au rugby et que vous réutilisez dans votre activité professionnelle ?
Le monde de l’entreprise est en manque de ce que nous sportifs avons développé tout au long de notre carrière notamment la capacité à supporter la pression ou encore à travailler en équipe. Effectivement, au terme de sa carrière, le sportif peut avoir un manque de connaissances dédiées à ce qu’il va faire après. Cependant, le sportif a pour lui ce que les anglo-saxons appellent les soft skills qui sont déterminantes dans le monde du travail et qui correspondent notamment à la capacité à accepter les remarques, à se remettre en question, à vouloir faire plus, à s’améliorer, etc.
Le problème est qu’aujourd’hui, le monde de l’entreprise a très peu de temps pour se projeter avec des gens qui ne peuvent pas être opérationnels du jour au lendemain, d’où l’intérêt pour le sportif d’anticiper l’après-carrière car, s’il arrive à garder une connexion avec le monde de l’entreprise pendant sa carrière, le basculement entre sport et après-carrière se fera plus facilement.
Je reste cependant persuadé qu’à ce jour, le monde de l’entreprise n’a pas encore compris l’apport des sportifs de haut niveau.
Quel est l’apport d’Allyteams selon vous ?
En qualité de sportif, quand nous arrêtons notre carrière, nous arrivons dans un environnement vide. Nous avons très peu de branches auxquelles nous raccrocher et les entreprises qui permettent de faire une connexion entre le monde de l’entreprise et les sportifs ont un rôle important à jouer d’accompagnement et d’explication des codes de la vie en entreprise.
À titre personnel, lorsque j’ai mis un terme à ma carrière, une mise en contact avec des personnes extérieures à mon réseau m’aurait aidé et permis de gagner du temps s’agissant de l’apprentissage des codes du monde de l’entreprise car, lorsque nous mettons un terme à notre carrière, nous sommes prêts à travailler mais nous avons une réelle méconnaissance de ce monde.
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LIVRE BLANC L'EMPLOI DES SPORTIFS DE HAUT NIVEAU (lien de téléchargement)
Forte d’une communauté de plus de 2.500 sportifs ou ex-sportifs de haut niveau et de dizaines d’entreprises partenaires, Allyteams a voulu donner la parole aux acteurs du monde du sport, de l’entreprise et de la formation.
Ce livre blanc est l'occasion de donner la parole à 33 sportifs ou ex-sportifs de haut niveau ainsi qu’à des cadres d’entreprise et des directeurs de formation dont les témoignages offrent une grande variété :
d’expériences dans différents secteurs d’activité au sein de PME ou de grandes entreprises;
de compétences techniques et entrepreneuriales : ressources humaines, digital, finance, commercial, communication, marketing, droit, etc.;
culturelle et internationale, notamment avec des entretiens de sportifs étrangers, mais aussi de sportifs nationaux au parcours international;
au niveau démographique, des âges (15 à 75 ans) et des genres;
d’expertise en matière d'accompagnement des sportifs avec l’apport de personnes expertes du sujet (notamment du côté des écoles ayant développées des programmes pour les sportifs).
Cette diversité témoigne du fait que chacun possède une partie de la solution aux problèmes de l’emploi et de l’employabilité des sportifs de haut niveau.