[Carnet de Bord] Arthur Haudeville - Aviron
Arthur Haudeville, ancien sportif de haut niveau en aviron et actuellement étudiant à l'IPSA de Toulouse, nous parle de la science de l'esprit à travers le sport.
Le sport : une science de l’esprit
L’être humain est une incroyable machine aux aptitudes aussi variées que performantes. Pourriez-vous me citer une quelconque autre espèce capable de courir, nager, pratiquer du tennis, ramer, sauter à la perche et escalader ? Certes, nos performances dans chacune de ces disciplines sont largement surpassées par au moins une dizaine d’autres espèces sur cette planète. Mais cette extrême polyvalence propre au genre humain est sans égale dans le monde animal. Bien que nos performances physiques ne puissent pas rivaliser face à certaines autres espèces, notre technicité est quant à elle incroyablement fine et évoluée. En fait, l’Homme prendra appui sur ces aptitudes techniques et mentales plutôt que physiques pour performer dans une discipline sportive. Dans le cas contraire, il suffirait d’être capable de soulever quelques fois votre masse au développé couché pour espérer la médaille olympique de boxe par exemple. Absurde me direz-vous.
Bien que notre corps ait besoin d’une condition physique irréprochable pour espérer performer, notre cerveau occupe une place plus importante encore. À la suite d’un long processus évolutif, la nature nous a fait don de capacités cognitives extraordinaires. Capable d’opérer des calculs complexes, d’imaginer l’impossible et d’imprimer des quantités quasi illimitées d’informations ; le cerveau humain est très certainement le plus mystérieux et le plus fascinant des organes. C’est en effet à ce niveau que réside la clé de notre polyvalence physique, technique et mentale.
Forger son expérience à l’entrainement
Tout comme un cerveau ne peut courir seul, un corps ne peut se mouvoir sans cerveau. Nous avons là, la première équation exprimant la performance en fonction des capacités cognitives et physiques. La plupart des athlètes ont déjà entendu leur coach répéter un nombre incalculable de fois : « forcer intelligemment », « être concentré », « se relâcher », « être dans sa bulle », etc... Il est en fait question d’inviter son esprit à interagir davantage avec son corps et de questionner le moindre de ses mouvements, de ses sensations. C’est cette puissante relation qui permet au sportif de comprendre, d’apprendre et d’améliorer un mouvement. Mais aussi de gérer son effort et de connaître ses limites lorsque le corps est poussé au bout de ses capacités, nous permettant ainsi d’orienter au mieux nos choix lors d’une épreuve sportive. Et c’est par l’entrainement, l’expérience, que notre cerveau assimile des données qui nous seront décisives le moment venu.
Ce n’est pas anodin si un sportif doit accumuler des milliers d’heures d’entraînements avant de s’exercer en compétition. Toutes ces heures à se muscler et à répéter un mouvement font parties d’un apprentissage. Un apprentissage constitué d’expériences proches (en effet un mouvement répété peut sembler identique pour une personne non pratiquante) mais dont il en ressortira un vaste savoir. Ce savoir emmagasiné par le cerveau saura être ressorti de manière précise et sans aucun effort au moment opportun. De plus, cela permettra aussi une adaptation des plus efficaces face à toutes situations inhabituelles ou nouvelles en compétition. L’adaptation faisant partie des nombreuses capacités cognitives excellées par l’Homme et qui lui ont été utiles à la survie.
Comportement intérieur et stratégie en compétition
Au-delà de tout l’exercice de pensée pratiqué à l’entrainement, notre pouvoir intellectuel a encore un grand rôle à jouer lors de la compétition. La première étape de ce marathon est la fameuse « préparation mentale » où le sportif va entrer dans sa bulle et s’isoler mentalement. Cela va permettre d’anesthésier la perception des événements extérieurs et d’ainsi améliorer la concentration de soi. À cet instant le sportif semble ailleurs et en manque d’énergie d’un point de vue extérieur. Il n’en est rien, son cerveau est incroyablement fonctionnel et toute son énergie accumulée est contenue en lui. La machine de guerre est alors prête à l’emploi, le lion n’attend plus que de sortir de sa cage et se tient prêt à déployer toute sa rage.
Quelle que soit la discipline, l’athlète devra user de sa ruse et mettre en place une stratégie pour accompagner sa performance physique et espérer performer. C’est l’une des étapes les plus importantes de ce marathon intellectuel mais pas la plus accessible. Tout comme le joueur de Go cherche à anticiper les mouvements de son adversaire, nous devons anticiper un maximum d’éventualités. Or comme explicité précédemment, notre cerveau est très facilement capable de calculer un bon nombre de possibilités sans effort et de développer un champ de probabilités très précis. Par la suite, et tout au long de l’épreuve, le cerveau analysera et traitera chacune des informations perçues par nos sens. Ce travail monumental de traitement de données va succéder à la mise à jour des probabilités et permettre l’orientation de nos agissements afin d’éviter les mines.
Enfin, parallèlement à tout ce travail, un champion se devra de résister à l’immense pression qui lui pèse sur les épaules. Avant même que la compétition ait pu commencer, ne pas se laisser écraser par le stress devient une source de préoccupation pouvant donner lieu à des répercussions indésirables (mentales comme physiques). Ce poison qui nous ronge intérieurement n’est autre que la réponse de notre cerveau face à la question de l’échec et du résultat final. Mais bien utilisé, ce poison peut se transformer en véritable potion magique : l’adrénaline. Il en résulte une meilleure réactivité, plus de tonus musculaire, une plus grande puissance potentielle et une explosivité débordante. L’inconscient semble intouchable, et pourtant il est tout à fait possible de l’influencer ou d’y remodeler des pensées à notre convenance.
Bilan post-compétition
À peine sorti de la compétition, le relâchement musculaire comme moral est à son comble dans la plupart des cas (hors cas de contre-performance). Il est bon de laisser reposer son esprit comme son corps et d’apprécier le moment, c’est aussi cela le plaisir dans la pratique d’un sport. Il est important de mémoriser les évènements vécus (bons ou mauvais) comme une contribution à l’entrainement par l’expérience. L’analyse des erreurs mais aussi des réussites permet d’orienter ses entraînements dès la reprise et de donner un certain rebond dans sa performance. Il est important pour le sportif de faire un travail de mémorisation des compétitions passées et d’ainsi conserver, voire de mieux comprendre, l’expérience tirée.
Pour en revenir au plaisir, ce dernier doit apparaître à chaque étape (à l’entrainement comme en compétition) de la vie sportive. Le plaisir est la clé de voute du succès et de la longévité de d’une pratique dans une discipline. Quelle que soit la nature de ce canon à endorphine, la jouissance occasionnée est source principale de motivation, qui elle-même est déterminante dans la performance à moyen et long terme.