[Carnet de Bord] Jonas Devouassoux - Ski alpin
Jonas est un skieur alpin de haut niveau. Il retrace le chemin parcouru à la suite de sa blessure en janvier 2021 et nous explique comment s'est déroulée sa guérison étape par étape.
Nous sommes le 26 janvier 2021, mon accident de ski remonte à 5 jours. Le souvenir du granite imprimé sur ma peau est douloureux, le bilan n’est pas brillant. Plusieurs organes vitaux sévèrement touchés, de multiples fractures thoraciques, des vertèbres et du bassin, des problèmes neurologiques en suspens ; en langage médical je suis un polytraumatisé grade A. Les réanimateurs sont désormais confiants mais l’étendue des dégâts véritables ne sera connue que dans plusieurs mois.
Cet accident marque le début de mon combat, celui d’une vie, j’espère. Les outils mentaux construits au cours de ma carrière m’aident à le mener. Ne jamais rien lâcher tant que la ligne d’arrivée n’est pas passée ; endurer la douleur ; construire et réévaluer les objectifs au regard de son état d’esprit et de sa souffrance.
Initialement, le but de vivre une vie « normale » était beaucoup trop éloigné pour être envisageable. J’ai revu mes exigences à la baisse et me suis souvenu des séances d’intervalles sur stade en préparation physique. J’ai utilisé la même méthode. Découper les jours en heures, les heures en quart, les quarts d’heure en minutes et les minutes en secondes. Je rangeais ensuite ces laps de temps par paquets de dix, de cent, de mille en me basant sur la prise des médicaments. A chaque fois, je m’obligeais à tenir quelques secondes supplémentaires avant de demander une dose.
Au gré des progrès, la temporalité s’est allongée. J’ai pu prendre de moins en moins de médicaments et retrouver un début d’activité. Pas question de se relâcher pourtant, la ligne d’arrivée était toujours très loin. Je ne tenais encore debout que quelques secondes, sur une jambe seulement et jamais loin de l’évanouissement. Supporter quelques secondes de plus à chaque fois, appuyer partiellement sur la seconde jambe, faire des exercices de renforcement musculaire, quelques pas avec un déambulateur, puis avec les béquilles ; voilà une partie du long chemin vers la guérison.
C’est durant cette deuxième phase que j’ai commencé à regarder plus loin : à trois semaines très exactement. C’était mon horizon systématique, qui correspondait à mes espoirs de sortie de l’hôpital. Je quantifiais mes progrès sur cet intervalle de temps et rééchelonnais mes objectifs. Après deux mois et demi et cinq opérations, j’ai pu sortir de l’hôpital et commencer la phase de rééducation à proprement parler. Elle durera encore plusieurs mois.
Alors bien sûr, j’ai souffert de nombreux retards et complications, plus ou moins graves, mais jamais je n’abandonnais les courts objectifs que je m’étais fixés, quitte à les repositionner dans le temps au gré de mon état d’esprit. Je savais que seule la réussite de ces petits riens me permettrait d’atteindre mon but final en dépit d’un horizon temporel très lointain : vivre à nouveau normalement.
Aujourd’hui, mon combat n’est pas terminé mais je peux marcher et suis quasi-autonome dans la vie. Je recommence à avoir des projets sur quelques mois, ma condition me le permet. J’ai la chance de me remettre étonnamment bien selon les médecins. Je ne doute pas que mes années de pratique sportive, et l’état d’esprit qui l’accompagne, accélèrent le processus de guérison. Ces progrès me laissent envisager un retour au sport amateur d’ici l’année prochaine. Rien ne sera plus comme avant, évidemment, mais j’ai déjà hâte de m’y remettre.