[Livre Performance Allyteams] Interview Sandrine Gruda - Basket-ball

26 janvier | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Sandrine Gruda - Basket-ball | Allyteams

Sandrine est une joueuse internationale de basket-ball. Avec les Bleues elle remporte, en 2012, la première médaille olympique de la France avant de récidiver lors des JO de Tokyo 2020. Elle a, en outre, été élue meilleure joueuse européenne en 2009.

Participation aux Jeux Olympiques 2012, 2016 et 2020
Médaille(s): 1 x argent, 1 x bronze

Sandrine, quelle est votre définition de la performance ?

Je considère que la performance est tout d’abord un état d’esprit avant d’être des compétences et de la technicité. Je dirais qu’il faut avoir l’état d’esprit d’un conquérant, rempli d’analyse et de ressources. Conquérant, parce qu’il est nécessaire de faire les efforts permettant de s’approprier le projet.

Pour ma part, j’ai toujours été une joueuse ayant eu un temps de jeu important lors d’un match. Cependant, lorsque j’ai joué en WNBA, à Los Angeles, par phase de deux minutes, je me suis quand même approprié le projet, je me suis sentie totalement impliquée et me suis également impliquée à d’autres niveaux. Aujourd’hui, dans mon club italien de Schio, j’ai un rôle de cadre mais je m’approprie le projet de la même façon que dans mes autres clubs.

Je pense que cette appropriation doit être identique en entreprise, qu’une personne soit Directeur Général, Comptable, ou ait une autre fonction, elle doit nécessairement s’approprier le projet pour espérer être performante.

Si à un moment donné une personne pense que ce n’est pas « son entreprise » ou « son équipe », le terme « performance » n’aura pas sa place. Lorsque l’on ne s’approprie pas un projet, il ne me semble pas possible de donner le meilleur de soi.

S’approprier le projet ne veut pas dire être en concurrence avec ses coéquipiers ou collègues, mais permettre de placer son entreprise ou son équipe en concurrence avec les autres entreprises ou clubs du même calibre.

L’appropriation à un projet nécessite cependant que les tâches soient clairement définies, que chacun sache ce qu’il est nécessaire d’accomplir pour aider son équipe ou son entreprise à atteindre les objectifs fixés.

Dans le sport, je dirais que cette appropriation au projet doit même être prise en compte en dehors du terrain, c’est-à-dire dans la vie au quotidien car tout doit compter et être réfléchi. Cela passe par exemple par le sommeil, la nutrition, etc.

S’agissant de l’esprit d’analyse, je le définirais comme la capacité permettant de trouver des solutions afin de pouvoir débloquer une situation.

Enfin s’agissant des ressources, je définirais cette notion comme l’engagement qui va être déployé par une personne pour mettre en œuvre les solutions permettant de répondre à une problématique donnée.

Par exemple, même si un coach donne des consignes, il ne peut pas anticiper tous les faits de jeu. De plus, ce sont les joueuses qui sont sur le terrain, vivent la situation et qui doivent être en capacité de la lire, de l’analyser pour trouver, par elles-mêmes, les solutions à utiliser et aller chercher les ressources pour réussir à mettre ces solutions en œuvre.

Quelle est, selon vous, la plus belle performance de votre carrière ? (L’interview a été réalisée avant les JO de Tokyo en 2021)

Il y en a plusieurs, notamment des titres mais un exemple différent me vient en tête, et il me semble être intéressant pour faire un parallèle entre le sport et l’entreprise.

En février 2020, nous avons participé avec l’Équipe de France au tournoi de qualification olympique (TQO) que nous avons remporté. J’ai été désignée MVP (meilleure joueuse) de ce tournoi et nous nous sommes qualifiées pour les Jeux olympiques de Tokyo en 2021. Il n’y a pas eu de médaille, seulement une qualification pour les Jeux olympiques, mais pour moi c’était un très bon moment et une belle victoire.

Dans le sport en général et notamment féminin, lorsqu’une joueuse atteint l’âge de 30 ans, le discours envers elle n’est plus le même. Les questions sur l’âge jusqu’auquel elle souhaite jouer et sur son aprèscarrière sont nombreuses, comme si sa carrière devait s’arrêter du jour au lendemain en raison de son âge.

Je fais le parallèle avec l’entreprise ou lorsqu’une personne atteint la cinquantaine elle peut être perçue comme « obsolète ».

Pour moi, le TQO a été important car lors de ce tournoi se sont mêlées ma fraicheur physique, qui me permet de pouvoir encore profiter de ma technicité, ainsi que ma maturité qui est faite de la femme que je suis aujourd’hui et de l’expérience que j’ai pu accumuler depuis quinze ans.

À mon sens, c’est lorsqu’un sportif a la capacité d’avoir la fraicheur physique et de s’appuyer sur son expérience et son vécu qu’il peut atteindre un niveau d’analyse parfait dans les moments clés, atteindre son meilleur niveau et devenir incontournable dans une équipe.

Lors de ce tournoi, c’est ce qui s’est passé pour moi et je vais bien sûr tout faire pour que cela se répète au cours des prochaines années. Lorsqu’une joueuse réussit à mêler expérience et fraicheur physique, plus personne ne parle d’âge.

Je considère donc que ce tournoi est une belle performance car il me conforte dans l’idée qu’il est primordial, quels que soient le métier ou les projets, de s’écouter, ne pas céder à la pression de la société qui veut qu’à tel ou tel âge nous prenions des décisions, que ce soit en termes de carrière professionnelle ou de vie personnelle. Nous sommes tous différents et nous vivons chacun des étapes à des âges différents.

Vos propos depuis le début de l’interview démontrent que vous avez une réelle capacité d’analyse. Est-ce que, selon vous, c’est cette capacité qui, au-delà de vos qualités physiques et techniques indéniables, vous a permis d’avoir une telle carrière ?

Je pense en effet que ma capacité d’analyse a été l’élément supplémentaire de ma carrière. Jeune, j’étais beaucoup plus dans le « quantitatif » à être à la salle pour faire mes gammes et les répéter. J’étais d’ailleurs vue comme une extraterrestre car je pouvais rester des heures à reproduire les mêmes gestes.

Sur la deuxième partie de ma carrière, j’ai adopté un raisonnement plus « qualitatif » et cela a fait la différence car je considère que rentrer dans une réflexion permet de vivre le présent et de préparer l’avenir.

À titre d’illustration, quand nous commençons une semaine d’entraînement avec l’équipe, je sais exactement comment je vais, à titre individuel, me préparer et cela dépend de l’adversaire que nous allons affronter. Cela demande au préalable une analyse de l’adversaire (atouts, faiblesses), puis la semaine avant le match, la répétition des mouvements choisis en fonction de l’équipe contre laquelle nous allons jouer.

Concrètement, l’entraîneur prépare ses entraînements, et pendant les entraînements j’adapte mon jeu en fonction de l’équipe que nous allons affronter pour que le jour du match les gestes répétés à l’entraînement soient naturels.

Il y a donc deux types de travail, celui de l’entraîneur qui est de préparer son collectif à affronter une équipe, et le travail individuel de la joueuse afin de se préparer à l’équipe, voire à la joueuse adverse qu’elle aura en face d’elle pendant le match. Je constate très souvent que cette réflexion individuelle, en amont, n’a pas souvent lieu.

L’analyse et cette répétition de gammes ne sont ancrées que chez les « top joueuses » et c’est en côtoyant les meilleures joueuses du monde que j’ai compris ce qu’il fallait faire pour atteindre, mais surtout rester au top niveau.

Je suis arrivée à très haut niveau en Russie et plus précisément à Ekaterinbourg à l’âge de vingt ans. À cette époque, je côtoyais déjà des filles qui avaient une trentaine d’années, et même si à mon jeune âge je n’avais encore pas la maturité suffisante pour être en capacité de réaliser des analyses poussées, j’étais très observatrice, je voyais les filles à l’entraînement et n’hésitais pas à leur poser des questions.

Aujourd’hui, en plus de l’esprit d’analyse que j’ai acquis avec la maturité, j’ai gardé ce sens de l’observation et cette curiosité.

Il y a deux ans, j’ai aperçu au loin, au dépôt bagages dans un aéroport une joueuse avec laquelle j’ai joué à Ekaterinbourg, Sue Bird, qui avait trente-huit ans à l’époque et elle venait tout juste de remporter le titre de WNBA. J’ai profité de cet instant pour aller la voir et lui poser une question. J’avais envie de savoir ce qu’elle avait mis en place pour, à trente-huit ans, remporter un nouveau titre, être au meilleur de sa forme et toujours faire partie des meilleures joueuses du monde.

Je raconte cette anecdote pour expliquer que je saisis toutes les opportunités pour faire ma propre analyse de mes actions et de ce que je pourrais faire pour encore évoluer, mais également pour ne pas rester centrée sur moi-même et faire preuve de curiosité en interrogeant certaines personnes pour comprendre comment elles fonctionnent.

Cette anecdote confirme que pour vous la performance est avant tout un état d’esprit.

Exactement, quand tu sors d’un avion, que tu as voyagé plusieurs heures et que tu subis un important décalage horaire, tu as envie de tout sauf d’aller discuter avec des gens. Cependant, en voyant Sue Bird, j’ai eu l’envie d’aller lui parler pour savoir si, dans ce qu’elle allait me dire, il y avait des choses que je pouvais m’approprier et mettre en œuvre.

C’est en cela que la performance est un état d’esprit et j’estime qu’il n’y a pas de limite, il n’y a pas d’horaires, je n’ai pas d’heure de prise de poste et d’heure de fin de journée, je considère que même dans des moments « off », mon esprit doit être tourné vers la performance, et je ne vis pas cela comme une contrainte car lorsque c’est un état d’esprit, c’est un comportement naturel.

Vous avez joué en France, en Russie, aux États-Unis, en Turquie, en Italie, comment expliquez-vous que, quel que soit le pays dans lequel vous avez joué, vous avez toujours réussi à vous imposer ?

Tout simplement parce que je considère que tout dépend de moi et pas des endroits où je me situe. Que je sois en France ou ailleurs, le basket reste du basket et les règles sont identiques. Certes, j’ai vu passer une dizaine de coach avec des visions totalement différentes du jeu mais pour moi cela ne change rien, tout dépend de moi et j’ai toujours gardé en ligne de mire ce qu’il fallait que je fasse, quel que soit le temps de jeu que j’avais où le pays dans lequel j’évoluais.

J’aime ce que je fais, je connais ma valeur, mes atouts, ce sur quoi m’appuyer pour aider l’équipe au maximum, et cela rien ne peut le changer.

J’estime que le parallèle peut être fait en entreprise, un comptable, qu’il travaille pour Danone ou pour l’Oréal, aura un travail identique à faire et s’il travaille avec autant de sérieux et qu’il s’adapte aux spécificités de chaque société, il réussira, quelle que soit la société pour laquelle il travaille.

Si les règles du basket sont identiques quels que soient les pays, l’entourage, les villes, les cultures sont différents. Comment avez-vous fait pour réussir à vous adapter à ces différents pays ?

Je dois reconnaitre que ma carrière a fait que l’ordre de mes destinations à l’étranger a été particulièrement bon.

À vingt ans je suis arrivée en Russie et j’y suis restée neuf années. La Russie était le seul fonctionnement que je connaissais à l’étranger et je m’y suis vite adaptée quand je suis arrivée car je n’avais pas d’élément de comparaison et je me satisfaisais de ma vie dans ce pays.

C’est quand je suis arrivée en Turquie que je me suis rendu compte que la vie pouvait être totalement différente ailleurs. J’ai commencé à me faire des amis en dehors du cercle professionnel et c’était pour moi une découverte et un réel plaisir.

Après mon expérience turque, je suis partie en Italie, et j’ai découvert un magnifique pays, et je vous confirme que le terme « dolcevita » n’est pas usurpé, ce qui n’enlève rien au sérieux avec lequel j’exerce mon métier.

Si j’avais commencé par l’Italie, pour finir par la Russie, je ne sais pas si j’aurais aussi bien réussi et surtout si je me serais adaptée à la Russie, car les fonctionnements italien et russe sont incomparables. Je ne regrette donc pas d’avoir pu jouer dans ces pays dans l’ordre dans lequel je l’ai fait.

Enfin, je dirais que j’ai une grande capacité d’adaptation, c’est peut-être cela aussi qui me permet de me créer, plus ou moins rapidement une routine, des habitudes, pour que, quel que soit l’endroit où je vive, je me sente bien dans mon quotidien.

À titre individuel, comment abordez-vous une compétition ?

L’objectif collectif est prioritaire car c’est de cet objectif que dépendent les objectifs individuels.

Mes objectifs individuels ne varient pas réellement ces dernières années car j’estime que lorsque tu trouves ton rythme de croisière et que tu performes, il n’est pas nécessaire de changer les objectifs principaux mais simplement d’en rajouter de petits pour tenir compte de son évolution ou de l’équipe dans laquelle on évolue.

A titre personnel, entre 30 ans et 33 ans, j’ai évolué sur tout ce qui est lié à la récupération physique, notamment en recourant à la cryothérapie. Je dirais donc qu’il y a des éléments qui s’ajoutent mais une fondation qui est la même.

Vous avez été vice-championne olympique à Londres en 2012 avec l’équipe de France, pourriez-vous nous dire comment cette médaille s’est construite ?

Je trouve que cet exemple illustre très bien ce que sont des femmes engagées.

Je ne vais pas vous cacher qu’il n’y avait pas forcément une harmonie parfaite entre les joueuses et que le groupe était divisé. Tout le monde pense que lorsqu’une équipe gagne tout est rose, c’est faux. Cependant, sur le terrain, nous savions toutes la raison pour laquelle nous étions là, et c’est tout ce qui comptait.

Aux États-Unis, lors des recrutements, les clubs portent une attention particulière à l’apport terrain lorsqu’ils recrutent une joueuse, mais également à la joueuse en tant que personne, c’est la notion américaine de « joueuse de vestiaire ».

En Europe ce n’est pas le cas, il n’est donc pas rare que dans des équipes l’harmonie et la synergie entre les joueuses ne soient pas présentes. Dans de telles situations, il vaut donc mieux avoir des personnes qui savent les raisons pour lesquelles elles sont là afin que, malgré les mésententes, les résultats n’en pâtissent pas.

En 2012, pour décrocher notre médaille d’argent aux Jeux olympiques, nous avons tout donné sur le terrain et les filles qui étaient en froid ne voyaient pas, une fois sur le terrain, la personne, mais la joueuse ou le numéro. Elles réalisaient telle passe ou tel mouvement car c’est ce que le jeu leur disait de faire.

Sur le terrain nous n’étions pas dans l’affinité mais dans ce que le jeu nous disait de faire pour performer et décrocher la médaille car nous savions que c’était un moment unique. De nombreuses joueuses du groupe avaient plus de 28 ans et elles savaient qu’il ne fallait pas laisser passer cette chance de décrocher une médaille, et nous avons réussi notre pari.

Pour ma part, je prends toujours le positif d’une saison ou d’une compétition. Avec le recul, je considère que cette médaille représente un très bel exemple d’engagement de chacune des joueuses du groupe, nous étions venues avec un objectif et rien n’a pu nous en détourner.

Quel est votre rôle « extra-terrain » ? Avez-vous l’envie de transmettre aux jeunes joueuses ou pensez-vous qu’elles doivent faire preuve d’abnégation et apprendre par elles-mêmes ?

J’ai envie de jouer un rôle actif. D’ailleurs, je transmets déjà et j’aime beaucoup cela. J’aime l’idée de pouvoir permettre à de jeunes joueuses d’éviter de commettre des erreurs ou d’être plus préparées à la compétition et au métier de basketteuse professionnelle en général.

Je parle spontanément, que ce soit sur le terrain ou dans le vestiaire. Je fais toujours attention à tous les mots que j’emploie car je suis vigilante à verbaliser exactement ce que je pense, ce qui peut-être, pour certaines personnes « too much ».

Donc je m’adapte à mon audience et je fais attention à ce que je dis. Comme j’aime être très précise dans ce que je dis et que je veux être sûre de verbaliser avec exactitude ce que je pense, je peux avoir tendance à parler longtemps ce qui fait que je ne parle pas souvent mais lorsque je parle cela peut durer un certain temps. Enfin, je dirais que je préfère être saillante que redondante, c’est donc pour cela que je parle à des moments que je choisis et que j’estime clés.