[Livre Performance Allyteams] Interview Amélie Oudéa-Castéra - Directrice Générale Fédération Française de Tennis (FFT)
Championne du monde de tennis à 14 ans, Amélie Oudéa-Castéra a mis un terme à sa carrière à 18 ans, afin de réaliser de brillantes études et d’occuper de nombreux postes à hautes responsabilités. Connaisseuse et passionnée de sport, Amélie a été nommée Directrice Générale de la Fédération Française de Tennis en 2021.
Amélie, vous avez été Présidente du comité d’audit Paris 2024, pourriez-vous nous expliquer quel est le rôle de ce comité ?
J’avais en effet été nommée Présidente du comité d’audit Paris 2024, mais j’avais dû démissionner de cette présidence en raison de ma prise de poste au sein de la société Carrefour en qualité de Directrice e-commerce, data et digital, ces deux fonctions étant incompatibles.
J’ai été remplacée par Patricia Langrand (ex-vice-Présidente de Sopra Steria, ex-membre du COMEX d’Orange et du Conseil National du Numérique, exadministratrice et présidente du comité stratégique de France Télévisions), elle-même remplacée depuis par Jacques Lambert (ancien Préfet de Savoie pendant les Jeux d’Albertville de 1992, et président du comité d’organisation de l’Euro 2016).
L’objectif du Comité d’Organisation des Jeux olympiques en créant ce comité d’audit Paris 2024 est d’identifier l’ensemble des risques de différentes natures (financiers, juridiques, sociétaux) qui peuvent peser sur l’organisation et le bon déroulement des Jeux. La seconde grande mission du comité d’audit est de vérifier la fiabilité comptable et financière des chiffres qui sont produits, à la fois la fiabilité des sources des revenus mais également la fiabilité des dépenses.
En raison de vos anciennes fonctions professionnelles, vous connaissez parfaitement le domaine de la data et de la transformation digitale. À votre avis, quel sera l’impact de la data sur les Jeux olympiques de Paris 2024 ?
Je suis persuadée que la data peut être utilisée pour procurer aux spectateurs et aux téléspectateurs une expérience augmentée dans laquelle on donnerait à connaître beaucoup des données intrinsèques à la performance des athlètes. La data peut permettre de donner aux spectateurs une vision et une compréhension beaucoup plus fines par rapport à la façon dont les sports sont actuellement commentés.
Si je prends l’exemple du tennis, il est possible d’obtenir des analyses des données sur l’endroit où la balle est mise dans le court, la vitesse à laquelle elle tourne, la déformation des balles en raison de la vitesse, etc.
La data ouvre la possibilité de redécouvrir le sport et de percevoir des choses qui ne sont pas perceptibles à l’œil nu. Il y a bien sûr la possibilité de replay amélioré, de multiplicité de caméras qui permettent d’appréhender le spectacle sous des angles inédits et intéressants.
Il y a un autre champ qui est intéressant, c’est d’essayer de vivre un jour la performance d’un athlète de l’intérieur, sentir l’étirement, la contraction de ses muscles, sentir le jeu des tissus musculaires, la manière dont se gère l’oxygène, etc. Il y a des choses extraordinaires sur le fonctionnement du corps humain en haute performance que nous avons encore à découvrir, et je pense que la data peut être l’un des éléments nous permettant d’arriver à ces découvertes.
Y a-t-il des risques technologiques et data qui pèseront sur l’organisation et le déroulé des Jeux olympiques ?
L’un des risques est de retirer l’émotion de la performance sportive. Il est nécessaire de garder l’humanité et l’émotion, donc je pense qu’il faudra une proposition en deux temps, le temps du live, de l’émotion et de la prise d’adrénaline, car c’est également pour cela qu’on aime le sport, puis le temps du décorticage et de l’analyse à froid de la performance.
Les deux temps me semblent très intéressants et complémentaires.
Vous avez été championne du monde à 14 ans et championne d’Europe à 16 ans, pourquoi avoir arrêté le tennis dès l’âge de 18 ans ?
Je pense que chacun a une projection de lui-même, on s’imagine quelque chose, on tend vers quelque chose, et, pour ma part, je ne m’imaginais pas et ne tendais pas fondamentalement vers une identité de joueuse de tennis professionnelle.
J’adorais ce sport qui reste une passion dans ma vie et un fil rouge formidable, mais je voyais ma vie ailleurs, je pense que je n’étais pas suffisamment exclusive du tennis pour m’y sentir bien en permanence. J’avais envie de faire grandir d’autres aspects en moi, une ouverture d’esprit, une volonté de contribuer à traiter des problèmes économiques, sociétaux, environnementaux, etc.
J’ai eu une chance formidable, j’ai connu des extraits extraordinaires de cette vie de tenniswoman, je sais à quoi elle peut ressembler de l’intérieur, j’ai joué des tournois qui me faisaient rêver, l’open d’Australie, l’US Open, une demi-finale à Wimbledon en junior contre Martina Hingis, etc. J’ai joué face à des grandes championnes contre lesquelles j’avais envie de jouer, j’ai eu la chance d’échanger des balles à Wimbledon avec Martina Navratilova, j’ai connu le meilleur et n’ai rien hypothéqué, j’ai pu partir la tête haute en ayant pris tout ce qu’il y a de formidable.
Cette partie de ma vie est comme un héritage qui va continuer à vivre en moi éternellement.
Comment définiriez-vous la performance ?
C’est une question à laquelle j’ai énormément réfléchi et qui continue de beaucoup me porter parce que c’est l’une des questions les plus importantes dans la vie.
À mon sens, la performance procède de l’alignement de quatre facteurs.
Le premier est le fait de mettre son corps en situation de bien fonctionner (alimentation, sommeil, respiration, etc.).
Ce premier facteur doit être ensuite combiné avec une vraie pensée stratégique, par exemple sur la bonne tactique à adopter, c’est-à-dire ce qui a été programmé et organisé pour atteindre l’objectif fixé.
Le troisième facteur est ce que j’appelle le côté « cœur », c’est-àdire le degré d’envie qui est mis dans ce que nous réalisons, à quel point la personne va aller puiser dans ses ressources pour atteindre l’objectif fixé.
Le dernier facteur je le décris comme un fluide qui se passe et qui est la capacité à être à un moment donné en alignement de ce qu’on a fait de son corps, de sa tête et de son cœur, dans le flow du moment, pour qu’ici et maintenant il y ait quelque chose qui se passe et que ces quatre éléments soient réunis pour libérer tout le potentiel.
On ressent de grands niveaux de performance lorsque ces quatre facteurs sont présents et s’alignent et qu’il y a soudainement un chemin qui se crée car tous les sas sont libérés. Je pense que c’est l’une des plus grandes joies de la vie d’atteindre un tel moment, que ce soit dans un marathon amateur, dans une compétition de tennis, ou lors d’un examen important. C’est une petite magie de la vie.
Pensez-vous que la performance dans le sport est transposable en entreprise ?
Oui complètement, la définition pour moi est identique, je dirais que ce sont juste les paramètres qu’il faut modifier.
Par rapport à l’expérience que j’ai connue dans le tennis, j’estime que la performance en entreprise s’agence d’une manière beaucoup plus collective.
Dans un sport individuel, on se questionne sur sa forme physique, la stratégie mise en place ainsi que sur son propre degré de motivation mis dans la réalisation d’un objectif.
En entreprise, ce qui est nécessaire de programmer c’est l’alignement avec les autres, le fait de les pousser dans la confiance, dans la remise en cause, dans la manière d’aller chercher de nouvelles façons de résoudre des problèmes.
C’est l’apprentissage que j’ai dû faire lorsque j’ai arrêté ma carrière dans le tennis avant d’être à ma pleine efficacité dans le monde de l’entreprise. Il fallait redécouvrir un système où le collectif prime sur l’individu et, pour changer ce prisme, cela nécessite beaucoup d’ajustements sur le fond, la forme, et nécessite de hiérarchiser les priorités.
Cela rend l’exercice différent et c’est une redécouverte de la performance par ce biais la car la focale change. Si cela rend l’exercice plus difficile, cela permet cependant de recevoir la force transmise par les individus du collectif, et c’est alors le collectif qui porte l’individu, ce qui permet, à titre individuel, d’être porté infiniment plus loin.
Nous comprenons de vos propos que le tennis a participé à la réussite de votre parcours professionnel brillant.
Oui, incontestablement sur la discipline, le sens de l’effort, la certitude que tu n’obtiens rien de très bien sans beaucoup travailler.
Je dirais également le respect de l’adversité et la défaite, c’est-à-dire accepter parfois de ne pas réussir quelque chose ou d’être parfois moins bon, de se relever et de décrocher le prochain projet ou le prochain deal.
Il y a également la connaissance de soi car le sport place tout de suite dans les situations de vérité donc on apprend à se connaître, à connaître ses failles, les moments où l’on est susceptible de perdre un peu pied, donc c’est un chemin accéléré de connaissance de soi qui sert dans la vie en entreprise.
Enfin, je dirais que le sport à haut niveau et la compétition donnent l’envie de faire de grandes choses, le sport donne ce goût du dépassement et après cela devient une manière de vivre.
Pour ma part, je suis incapable de vivre dans une routine, j’ai besoin de toujours progresser et d’être tirée vers le haut.
Vous aviez été pressentie pour être ministre des Sports postérieurement à l’élection d’Emmanuel Macron. Qu’auriez-vous souhaité mettre en place si vous aviez occupé cette fonction ?
J’aurais souhaité mettre en place cinq axes de travail auxquels j’avais énormément réfléchi. Il s’agissait des liens entre le sport, l’école et l’université, des liens entre le sport et la santé, des liens entre l’entreprise et le sport afin de lutter contre la sédentarité, les troubles musculo-squelettiques en donnant aux salariés un cadre pour bien pratiquer.
Le quatrième axe était la refonte de la gouvernance du sport et notamment des fédérations pour les ouvrir et avoir plus de démocratie dans leur fonctionnement.
Enfin, le dernier axe est celui du financement du sport et la nécessité de trouver à la fois des innovations dans ce financement et d’avoir en même temps un discours plus armé dans les arbitrages budgétaires pour que le ministère des Sports pèse plus lourd.
En votre qualité de Fondatrice et Présidente de l’Association Rénovons le Sport Français (RLSF), dont l’objectif et de contribuer à la modernisation du modèle sportif français, quel est votre avis sur l’Agence Nationale du Sport (ANS) créée en 2019 ?
Je n’étais pas favorable à la création de cette agence, en tout cas sur la partie développement des pratiques, car c’était à mes yeux porteur d’un risque de complexification des rôles et modalités d’intervention de chaque acteur, avec une gouvernance partagée qui n’était pas assez claire dans ses principes.
Cependant, j’ai toujours dit qu’à partir du moment où cette agence a été créée, mon objectif était qu’elle réussisse. Il faut donc être constructif.
Néanmoins, si un vrai travail de fond n’est pas réalisé, c’est-à-dire un travail de clarification sur les responsabilités de chacun, et notamment sur la manière dont s’articulent les différents niveaux d’intervention, et de ce qu’il faut entendre par autonomie du mouvement sportif en termes de droits, de prérogatives mais également de responsabilités, je pense qu’on ne crée pas les conditions pour que le système fonctionne bien.