[Livre Performance Allyteams] Interview Victor Muffat-Jeandet - Ski alpin

2 février | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Victor Muffat-Jeandet - Ski alpin | Allyteams

Skieur spécialiste des disciplines techniques, Victor fait partie du Top 20 mondial depuis plusieurs années.

Participation aux Jeux Olympiques 2018.
Médaille(s): 1 x bronze.

Victor, comment se déroule une saison de ski et quelles sont les différentes compétitions ?

Le ski est un sport atypique, car les compétitions se déroulent sur une courte période, de fin octobre à fin mars. Nous avons un emploi du temps annuel comprenant une longue phase de préparation de fin mai à fin octobre, suivie de la période de compétition de fin octobre à début avril.

Pendant la période de préparation, nous avons une longue phase de préparation physique durant laquelle nous travaillons l’endurance, la résistance, la force et la musculation. L’objectif est d’être très complet car notre sport sollicite énormément de muscles.

Durant cette période, nous skions en moyenne une semaine par mois. Nous partons, en août ou septembre, un mois dans un pays de l’hémisphère sud pour retrouver les conditions hivernales et nous en profitons pour beaucoup skier ce qui nous permet de développer le matériel et travailler des points techniques afin d’être prêts physiquement et techniquement pour le début des compétitions fin octobre.

S’agissant de la période de compétitions, nous avons la chance d’avoir un circuit mondial très développé avec la coupe du monde de ski alpin. Nous avons donc des compétitions tous les week-ends aux quatre coins du monde (aux États-Unis, en Asie, en Europe du Nord et Centrale etc.).

Nous sommes donc constamment en déplacement entre fin octobre et début avril afin de participer à ces épreuves de coupe du monde. Il y a un vainqueur pour chaque épreuve mais également un classement général pour chaque discipline, puis pour l’ensemble des disciplines. Le premier du classement général à la fin de la saison remporte la coupe du monde de la discipline concernée (petit Globe de cristal) ou du classement général de la coupe du monde (gros Globe de cristal).

Pourriez-vous nous rappeler les différentes disciplines du ski alpin ?

Il y a quatre disciplines majeures en ski alpin. Le slalom, discipline la plus technique faite de petits virages. Le géant, discipline de base, faite de virages moyens. Le Super-G, qui ressemble au géant mais qui est une course avec plus de vitesse. Enfin, la descente qui est discipline la plus impressionnante avec des skieurs à plus de 130 km/h et réalisant des sauts.

Au-delà de ces quatre disciplines, il y a également des courses de combiné, ces courses étant composées de deux manches, une première de descente et une seconde de slalom, c’est-à-dire les deux disciplines les plus extrêmes et qui récompensent les skieurs les plus polyvalents. Les courses de combiné sont moins nombreuses, il y en a environ trois par an car ce sont des épreuves difficiles à organiser.

Il faut comprendre que ces disciplines sont vraiment très différentes. Je considère finalement que chaque discipline pourrait être vue comme un sport différent. Ce n’est pas comme un changement de distance en biathlon, ou un passage de 100 à 200 mètres en athlétisme. C’est comme si on faisait passer un sprinteur de 100 mètres à une course de fond comme le 1500 mètres, cela ne requiert pas les mêmes qualités physiques.

Selon la discipline, cela nécessite de mobiliser une technique différente et un matériel différent à appréhender. De plus, le ski se spécialisant beaucoup, de moins en moins d’athlètes se lancent dans plusieurs disciplines.

Il y a donc plusieurs profils de skieurs ?

Oui, pour synthétiser, nous pouvons dire qu’il y a des athlètes typés « vitesse » qui participent aux Super-G et à la descente, et des athlètes typés « technique », qui participent aux Géants et aux Slaloms.

Pour ma part, j’ai la chance de faire partie des trois ou quatre derniers athlètes au monde à pouvoir entrer dans ces deux types de profil et donc à pouvoir être aligné sur l’ensemble des courses. Ma principale caractéristique reste cependant la technique, mais il m’arrive de participer à des épreuves de descente, notamment lorsque je réalise le combiné (slalom et descente).

En termes de nombre de compétitions, le circuit coupe du monde compte quarante épreuves, et généralement, pour un athlète de mon profil, le nombre de courses réalisées dans la saison variera entre vingt-cinq et trente entre fin octobre et fin mars. En revanche, pour certains skieurs monodisciplinaires, le nombre de courses durant la saison sera plus restreint, environ une dizaine.

Les séances d’entraînement d’avant compétition sont-elles communes à tous les skieurs de l’équipe de France ?

L’équipe de France est scindée en deux groupes, un groupe « vitesse » et un groupe « technique ».

En termes de logistique, l’impact est différent car pour les épreuves de vitesse il y a de nombreux points de sécurité à mettre en place sur les lieux de compétition et d’entraînement, ce qui fait que peu de sites sont en capacité d’accueil des entraînements de vitesse.

Pour le groupe « technique », la situation est un peu différente. Nous essayons de trouver les conditions les plus adaptées à celles que nous imaginons que nous aurons le jour de la course. Cela nous demande beaucoup d’adaptation, notamment au niveau du matériel, en raison des aléas du climat et des conditions météorologiques. Si nous pressentons que la piste sera glacée le jour de la compétition, nous essayons de reproduire ces mêmes conditions à l’entraînement et, s’il fait chaud, il n’est pas rare que nous mettions du sel sur la piste pour qu’elle durcisse.

Cela nécessite que nous soyons flexibles et mobiles, ce qui peut nous conduire à changer de site dans la semaine afin de trouver le plus adapté à la future compétition.

En France, nous avons du mal à nous adapter au monde de la compétition car nous sommes un pays centré sur le tourisme, donc en tant que professionnels, nous avons des difficultés à trouver des sites d’entraînement. Pour trouver des pistes proches de celles qui nous attendent en compétition, nous allons très souvent en Autriche, en Suisse ou en Italie, c’est-à-dire des pays tournés vers la compétition de ski alpin et passionnés par celle-ci.

Comment est composé votre staff ?

Le ski alpin est atypique car c’est un sport individuel mais nous nous entraînons en équipe. Nous sommes, dans le groupe « technique » de l’équipe de France, six ou sept athlètes et nous nous entraînons ensemble la semaine et sommes adversaires le week-end.

Nous avons chacun d’entre nous une relation privée avec nos propres sponsors ainsi que notre équipementier qui nous mettent à disposition des techniciens qui vont être à nos côtés 24h sur 24h, puis s’y ajoutent le staff de l’équipe de France qui est commun.

Cela fait donc une logistique importante et il faut compter, pour sept athlètes, entre quinze et vingt-cinq personnes avec nos entraîneurs, les personnes responsables de la préparation des pistes d’entraînement, les techniciens, le staff médical et le préparateur physique.

Comment définiriez-vous la performance ?

Le ski est un sport exceptionnel car beaucoup de facteurs entrent en compte dans la performance. En ski, tout le monde peut réussir avec ses propres points forts car entrent en compte dans la performance les parties mentale, physique, technique mais également le matériel.

Il n’y a cependant pas de secret, la performance s’obtient surtout avec le travail et le mental. Dans notre sport, nous n’avons pas de seconde chance, nous devons être constamment dans l’action, concentrés sur l’instant présent, car les courses se jouent au centième.

Quelle est la plus belle performance de votre carrière ?

C’est ma médaille aux Jeux olympiques de Pyeongchang en 2018 car je me suis rendu compte qu’elle valait tous les sacrifices consentis depuis que j’ai débuté le ski. Cependant, je ne suis pas arrêté sur une course précise. Aujourd’hui, ce que je retiens, même si je suis toujours en exercice, c’est le parcours que j’ai réalisé depuis le début de ma carrière, plus qu’une date précise.

A contrario, quelle est la plus grande contre-performance de votre carrière ?

Je suis plutôt une personne positive, je donne toujours le maximum afin de ne pas avoir de regret. Bien sûr, je reconnais que lors de certaines courses cela aurait pu mieux se passer et que j’ai parfois réalisé des erreurs, mais à l’échelle d’une carrière lorsqu’on connait de bonnes performances le compteur se remet à zéro.

Par exemple, je me souviens de ma grande frustration lorsque j’ai terminé quatrième au championnat du monde junior, mais lorsque dix ans après j’ai décroché ma médaille aux Jeux olympiques, cela a fait disparaître toutes les frustrations passées.

Justement, comment expliquez-vous votre performance lors des Jeux olympiques de 2018 en combiné alors que vous n’étiez pas forcément favori ?

Je n’étais pas favori mais je venais de gagner une épreuve de coupe du monde un mois avant et j’avais déjà réalisé des podiums en combiné, ce qui faisait de moi un candidat sérieux pour une médaille.

Il est déjà difficile de se qualifier pour les Jeux olympiques car nous sommes une dizaine de skieurs de la même nation en coupe du monde mais il n’y a que quatre places pour les Jeux, donc se qualifier est déjà une performance en soi.

En plus, alors que les Jeux se déroulent en février, nous sommes contraints d’attendre jusqu’à fin janvier afin de savoir si nous sommes qualifiés car la qualification dépend de nos résultats lors de la coupe du monde et les classements sont figés fin janvier.

En 2014 par exemple, j’étais 7ème au classement de la coupe du monde mais 5ème français car le niveau de l’équipe de France était extrêmement élevé, je n’ai donc pas été qualifié.

En 2018, j’ai réussi, après un combat acharné, à me qualifier aux Jeux dans trois disciplines différentes, et c’était déjà une très belle satisfaction, mais lorsque je suis arrivé sur le lieu des Jeux, je me suis finalement rendu compte que j’avais beaucoup plus d’ambitions qu’une simple participation.

Un autre facteur important à prendre en compte est le fait que c’était ma première participation aux Jeux olympiques.

J’étais frustré de ne pas avoir pu y participer quatre ans auparavant, en 2014, mais je ne savais pas quoi penser des Jeux. J’avais même du mal à comprendre et à accepter la raison pour laquelle tant d’importance était donnée à cette compétition, qui a lieu tous les quatre ans, alors qu’à mes yeux les coupes du monde qui se déroulent tous les ans ont une grande importance.

Mais lorsque je suis arrivé sur le lieu de la compétition, j’en ai compris son prestige. L’évènement est tellement grandiose que chaque athlète vit un rêve.

La grandeur de l’évènement a provoqué chez moi une envie de profiter de tous les instants, mais également une certaine euphorie. Si pour beaucoup d’athlètes, la grandeur et l’enjeu de l’évènement peuvent tétaniser, ce fut l’inverse pour moi. Cette euphorie m’a décomplexé et m’a libéré. Le côté exceptionnel de l’évènement a fait ressurgir en moi ce grain de magie que nous n’avons malheureusement plus en coupe du monde à force d’enchaîner les compétitions.

Ce fut donc des Jeux exceptionnels avec une médaille sur le combiné, une 6ème place en géant, puis en slalom, alors que je n’avais pas obtenu de tels résultats durant la saison de coupe du monde.

Dans quel état d’esprit êtes-vous avant une compétition ?

L’état d’esprit d’avant compétition est propre à chaque athlète. Avec le temps, je me suis rendu compte que je n’avais pas toujours eu un état d’esprit qui m’avait facilité la vie ! En ski, nous sommes en compétition contre des adversaires, mais je pense que chaque athlète est surtout en compétition contre lui-même et le tracé de la piste.

Petit à petit, j’ai tenté d’oublier mes adversaires pour me concentrer sur moi, mes ressentis, et ma propre performance. J’ai alors appris à me concentrer sur ce que je devais réaliser et mettre en place pendant la course pour réussir à être propre techniquement et à être le plus rapide. Je me suis souvent trompé en début de carrière en voulant aller dans le combat avec l’adversaire et je finissais par en oublier les fondamentaux.

C’est d’ailleurs pour cela que j’ai des difficultés à me fixer des objectifs en termes de classement car je me fixe avant tout des objectifs techniques. Je dirais que je suis un profil plutôt cérébral et que je préfère me concentrer sur la technique, ce qui n’exclut bien sûr pas le fait que je regarde et m’inspire parfois de ce que font les autres.

Je ne pense donc pas qu’il y ait un état d’esprit particulier à avoir, je pense surtout que chaque athlète doit avoir l’état d’esprit qui correspond à sa personnalité, son caractère et à sa sensibilité.

Vous pratiquez un sport à risque, vous arrive-t-il d’avoir peur avant une compétition ?

Oui bien sûr, j’ai déjà ressenti ce sentiment de peur. Sur les épreuves de vitesse comme la descente, la prise de risques est très importante. Sur une telle course, la vitesse et les sauts peuvent créer un sentiment d’appréhension voire de peur. De plus, ce type d’épreuve demande toujours une adaptation particulière, chaque course varie en fonction du tracé, des conditions météorologiques, du matériel, ce qui constitue des facteurs de stress externes supplémentaires. Il faut simplement apprendre à gérer ce type d’émotions.

D’ailleurs c’est souvent quand je rentre chez moi, au calme, que je me rends compte que je suis fait pour ce sport et que ces sensations me manquent.

Comment apprend-on à gérer ce type d’émotions ?

La gestion d’émotions est propre à chaque athlète. Pour ma part, j’ai développé des mécanismes dès le plus jeune âge, que j’ai fait évoluer au fil de ma carrière. Le principal mécanisme est la concentration. J’ai appris à laisser de côté tous les facteurs que je ne pouvais pas maîtriser, comme la météo par exemple, pour me concentrer sur les seuls points sur lesquels je peux agir. Je me concentre donc sur les fondamentaux techniques, mes intentions, mais également sur le choix de matériel avant la course.

De plus, j’ai conscience que je mets mon intégrité physique en jeu dès lors que je chausse des skis, c’est pour cela que je me contrains à toujours être extrêmement vigilant à chaque entraînement. Je veille également, à chaque fin de saison à ne pas subir de relâchement qui pourrait être dangereux. Concrètement, je dirais que j’accepte de ne pas avoir de contrôle sur des éléments qui me sont extérieurs, et que je fais preuve d’un contrôle extrême sur les éléments sur lesquels je peux agir.

Vous avez parlé à plusieurs reprises de l’importance du matériel. Quel est le lien que vous avez avec votre technicien ?

Nous dialoguons énormément avec mon technicien. Il est l’une des personnes dont je suis le plus proche. Il fait un travail remarquable, et j’ai toujours pensé que je devais lui donner toute ma confiance pour que notre collaboration soit la plus efficace possible.

Il fait également le lien entre mon ressenti par rapport au matériel et le fabricant. Pour vous donner un ordre d’idée, j’utilise en moyenne cent quarante paires de skis différentes par an.

Mon technicien m’écoute beaucoup car le ressenti que j’ai est déterminant pour lui, pour la préparation du matériel. Il a un travail ingrat car il est toujours dans l’ombre. Il me suit sur toutes les compétitions, mais également sur les périodes de préparation afin de travailler sur le matériel. Il est à mes côtés jusqu’à la dernière minute, c’est d’ailleurs la dernière personne que je vois avant de m’élancer.

Je dirais même qu’il joue parfois un rôle de psychologue car je me confie à lui, et je sais que c’est le cas pour la majorité des skieurs.

Avez-vous pour habitude d’échanger entre skieurs d’une même nation pendant des compétitions ?

Il y a différentes écoles, et l’esprit des skieurs est différent selon les disciplines. Il y a un esprit plus fraternel en vitesse (descente, Super-G), les anciens n’hésitent pas à conseiller les plus jeunes car ils bénéficient d’une expérience et connaissent les pistes depuis des années. Dans ces disciplines, il y a plus de risques donc un soutien plus fort entre skieurs.

Pour les disciplines techniques, nous sommes plus individualistes notamment parce que c’est la technique de chacun et les choix de chacun à des moments précis qui feront la différence sur la piste, et nous n’échangeons pas sur cela. Cependant, le ski est un sport dans lequel il y a une vraie solidarité, nous passons énormément de temps ensemble, nous avons une rivalité très saine car nous nous apprécions tous. Dès que la compétition commence chacun est dans sa bulle, mais dès qu’elle se termine nous nous retrouvons tous ensemble.

Y a-t-il un skieur qui vous a impressionné, et si oui pourquoi ?

Au-delà des idoles que j’avais quand j’étais enfant, je dirais que le dernier qui m’a impressionné est l’autrichien Marcel Hirscher (NDLR : Notamment 2 titres olympiques, 8 fois vainqueur de la coupe du monde entre 2011 et 2019), qui a pris sa retraite en 2019, car il dominait le circuit depuis huit ans. Il n’est pas possible d’idolâtrer un adversaire car cela mettrait dans une position de faiblesse avant même la compétition, mais je reconnais que j’ai beaucoup de fierté d’avoir pu pratiquer mon sport à ses côtés. C’est maintenant qu’il a mis un terme à sa carrière que nous prenons conscience des performances qu’il a réalisées, et je pense que nous ne reverrons pas un tel champion de sitôt. Au-delà de son palmarès exceptionnel, c’est sa régularité au plus haut niveau qui est impressionnante. Je pense que je lui dois indirectement une part de mes résultats, car skier contre un tel champion m’a permis d’élever mon niveau et de devenir meilleur dans ma discipline.