[Livre Performance Allyteams] Interview Jean-Frédéric Chapuis - Skicross
Jean-Frédéric est devenu champion olympique à Sotchi en 2014 devant deux autres français, réalisant à cette occasion le premier triplé français aux Jeux olympiques d’hiver. Il a également remporté trois fois le classement général de la coupe du monde.
Participation aux Jeux Olympiques 2014 et 2018.
Médaille(s): 1 x or
Pourquoi avoir choisi le skicross (l’une des 6 disciplines du ski acrobatique) ?
J’ai débuté par le ski alpin que j’ai pratiqué jusqu’à l’âge de 20 ans. C’est également l’âge auquel je m’étais fixé des objectifs, passer en équipe nationale de ski alpin ou me lancer dans le skicross, discipline dans laquelle j’avais déjà participé à plusieurs courses et que j’avais beaucoup appréciée.
J’ai donc débuté le skicross en 2010, et avec le recul je me rends compte que cette discipline m’allait beaucoup mieux que le ski alpin, qu’elle est plus en accord avec ma personnalité, notamment du fait des sauts et la confrontation directe, que je n’avais pas dans le ski alpin. J’apprécie également le côté aléatoire qui est très important en skicross car nous sommes quatre sur la piste donc on peut faire quinze descentes sans qu’aucune ne soit identique. Au-delà de votre propre descente, il y a vos adversaires à vos côtés, ce qui nécessite de devoir s’adapter à chaque situation très rapidement pendant la course en fonction de vous mais également des autres.
Quelles sont les qualités principales d’un skicrosser ?
Je dirais qu’il faut être très explosif pour sortir rapidement du départ, être polyvalent afin d’être en capacité de réaliser n’importe quel type de courbe, avoir une capacité d’adaptation et être instinctif afin de pouvoir réagir rapidement à chaque situation et prendre la bonne décision.
Quelles techniques utilisez-vous pour réussir à rester relâché pendant une course ?
Tout d’abord, il est important de définir ce qu’est le relâchement. Je considère qu’il s’agit, dans mon sport, de la capacité à mettre l’énergie nécessaire au bon endroit, car si nous n’en mettons pas assez nous perdons des dixièmes de secondes, et si nous en mettons trop, c’est de l’énergie que nous n’aurons plus pour la suite.
Je dirais que le relâchement sur la piste on l’obtient à force de travail et d’entraînements car la répétition nous permet de réussir à être sous contrôle. S’ajoute à la répétition la visualisation, c’est-à-dire l’imagerie mentale, qui consiste à avoir la capacité de réaliser la descente plusieurs fois dans sa tête, et permet de savoir à quel endroit passer sur la piste, à dix centimètres près.
Pour le relâchement autour de la descente, j‘utilise beaucoup des techniques de respiration, pour évacuer le stress par exemple.
Lors d’une compétition, êtes-vous dans l’analyse de la course de vos adversaires ou seulement concentrée sur la vôtre ?
Je dirais que je sais exactement, grâce à la visualisation du parcours, où je dois passer et ce qu’il faut que je fasse. Après, en fonction de la position que je vais occuper dans la course, je vais adapter ma trajectoire et ma stratégie de course.
Lorsque je suis en course, j’ai 40% de concentration sur moi et 60% sur mes adversaires, surtout lorsque je suis derrière car c’est ce qui va conditionner ma trajectoire. Pour résumer, lorsqu’on est derrière, il faut maintenir sa position mais également se créer des opportunités de dépassement, il faut donc penser à deux choses en même temps.
Lorsque je suis devant, je suis plus concentré sur la piste car il suffit de bien fermer les portes pour éviter d’être dépassé par ses adversaires et maintenir la plus grande vitesse possible pour conserver cette première place.
Quelle est votre définition de la performance ?
La performance est, à mon sens, tout ce qui a été mis en place à l’entraînement pour obtenir le résultat escompté le jour de la compétition.
Quelle est, selon vous, votre meilleure performance ?
C’est une question qui n’est pas simple car chaque performance à ses propres caractéristiques, il est donc, dans l’absolu, difficile de les comparer. Les Jeux olympiques de 2014 restent forcément une performance dont je suis fier car elle récompense le travail sur un cycle de 4 ans. Lorsque j’ai opté pour le skicross en 2010, l’objectif final était les Jeux olympiques. Je me suis, bien sûr, fixé des objectifs entre 2010 et 2014 mais ces objectifs étaient toujours définis en vue des Jeux olympiques de 2014. Ce titre olympique, même s’il s’obtient sur une course d’un jour, vient récompenser un long cycle de travail.
Je dirais également que mon premier globe de cristal (NDLR : Récompense le vainqueur du classement général de la coupe du monde) est une belle performance car il récompense ma régularité sur l’ensemble de la saison et tout le travail qui a été mis en place pour obtenir cette régularité.
Il est donc difficile de retenir une seule performance, mais ce dont je suis le plus fier c’est lorsque je réussis à tout mettre en place en amont, grâce à une planification parfaite, et que tout ce travail me permet d’atteindre l’objectif que je me suis fixé.
Quelle est, selon vous, votre plus grande contre-performance ?
J’ai réalisé beaucoup de contreperformances, je pense même avoir plus de déceptions que de joies, mais cela fait partie du sport et permet de me faire avancer. J’apprends plus de mes défaites que de mes victoires. Une de mes plus grosses déceptions reste les Jeux olympiques de 2018 car j’avais essayé de tout remettre en place, comme je l’avais fait quatre ans auparavant, mais il y a des détails qui m’ont fait passer à côté de ma course alors que j’aurais pu et dû les maitriser. Avec le recul, je pense avoir un peu trop fait confiance alors que ce sont des détails dont j’aurais dû m’occuper personnellement. J’ai été exigeant sur de nombreux points, mais il y a des détails que je n’ai pas vérifiés alors que j’aurais dû le faire. Ce sont ces petits détails qui ont fait que la course a basculé du mauvais côté.
Quels étaient ces détails ?
Je retiens notamment ma tenue de compétition qui n’était pas totalement adaptée. J’aurais dû la tester beaucoup plus tôt car cette tenue doit respecter des règles très strictes. Elle ne peut pas être moulante comme en ski alpin, il faut cependant que les mesures soient extrêmement précises car si la tenue est trop large, elle prend le vent lors des sauts et nous ralentit.
J’aurais dû être plus regardant sur plusieurs petits détails et j’en assume la totalité de cette responsabilité car c’est moi qui ai fait les erreurs et cette faute ne doit être rejetée sur personne d’autre que moi. C’est à moi de vérifier le moindre détail pour préparer une performance car il n’y a pas de grande performance sans que tous les petits détails ne soient pas vérifiés.
De plus, au-delà de ce détail relatif à ma tenue, je dirais avec le recul qu’à titre personnel j’aurais dû, dès le début, mieux entrer dans ma compétition, pour être plus agressif.
Est-ce que le fait d’avoir déjà tout gagné dans votre discipline lorsque vous vous êtes présenté aux Jeux olympiques en 2018 ne vous a pas mis en difficulté ?
Oui, c’est vrai qu’en 2018 c’était plus difficile que lors des précédents Jeux olympiques car j’avais remporté toutes les compétitions internationales de ma discipline et cela faisait quatre ans que je la dominais totalement, il y avait donc beaucoup plus d’attente et je savais que tout autre résultat qu’un titre olympique serait vu comme une contre-performance.
De plus, je pense qu’il est toujours plus difficile d’être dans une position de « chassé » que de « chasseur ». Quand on est « chasseur » on voit devant soi le niveau qu’il faut atteindre, alors que quand vous êtes « chassé », vous êtes devant et ne pouvez regarder derrière car cela vous amènerait à stagner, mais regarder devant n’est pas toujours simple car il n’y a personne en ligne de mire. Il faut donc être fort mentalement pour réussir à se fixer son objectif de progression et ne jamais relâcher son effort.
En 2014 j’étais un outsider, en 2018 j’étais le grand favori à ma propre succession et tout le monde pensait peut-être que cela serait facile de gagner. Cependant, il ne faut jamais oublier qu’il n’est jamais simple de gagner, et que dans un sport en confrontation directe tout peut arriver. Il suffit de faire une erreur et vous abandonnez tout espoir de titre.
Vous avez gagné tous les titres de votre discipline (Jeux olympiques, championnat du monde, coupe du monde). Comment réussit-on à rester performant lorsqu’on a tout gagné ?
Je pense que ce qui m’aide à rester performant est que même si je suis satisfait de ce que j’ai réalisé jusqu’à maintenant, je mets de côté tous ces titres et j’aborde chaque saison comme une saison nouvelle, comme s’il s’agissait de ma première à haut niveau. Ce qui me motive n’est pas de réaliser un objectif une fois mais de réaliser mes objectifs chaque saison.
Je remets donc les compteurs à zéro à chaque début de saison et je ferai les comptes à la fin de ma carrière lorsque je déciderai d’arrêter.
Vous faites une discipline spectaculaire (vitesse, sauts), vous arrive-t-il d’avoir de l’appréhension avant une compétition ?
Oui, il y a toujours de l’appréhension. Il faut cependant distinguer deux types d’appréhension, celle qui booste, c’est-à-dire une appréhension qui fait monter l’adrénaline, et il y a la seconde appréhension qui inhibe.Si un jour je devais être confronté à cette seconde peur, je mettrai un terme à ma carrière.
Comment réussissez-vous à gérer votre stress ?
Lors de mes dernières années en ski alpin, j’ai travaillé avec un préparateur mental qui m’a beaucoup apporté sur la gestion du stress et la visualisation. Ce préparateur m’a présenté plusieurs outils que j’ai testés et j’ai gardé ceux qui fonctionnaient sur moi.
À partir de ces outils, j’ai mis en place une routine personnelle.
Quelle est cette routine ?
Je travaille énormément sur la respiration, et notamment sur de lentes expirations pendant lesquelles j’essaie de visualiser des images positives. Mon préparateur mental me disait toujours qu’on retient plus facilement le négatif que le positif donc je me force à visualiser des images positives et me concentre dans le même temps sur ces exercices de respiration.
J’ai également besoin de parler lorsque je suis stressé, que ce soit avec mon entraîneur ou avec des gens de confiance.
Quels sont les sportives ou sportifs qui vous impressionnent, et pour quelle(s) raison(s) ?
Il y en a plusieurs. Je citerais Tony Estanguet qui a obtenu trois médailles sur trois olympiades différentes. C’est une performance hors norme car les cycles de quatre ans entre les Jeux olympiques sont longs et avoir la capacité de toujours chercher à progresser pendant ces cycles est extrêmement difficile.
Je pense également à Pierre Vaultier qui a été double champion olympique sur deux olympiades successives, cela montre également la régularité et le travail accompli tout au long d’une carrière pour être en capacité de réaliser une telle performance.
Enfin, Roger Federer, pour la même raison. Cette capacité à être toujours aussi performant dans le temps, à savoir se remettre en question et à faire évoluer son jeu en fonction des évolutions de son sport et de ses adversaires.
Pour conclure, je dirais que le plus difficile dans le sport de haut niveau n’est pas de gagner, même si cela nécessite un important travail au préalable, mais c’est de continuer à gagner dans le temps.