[Livre Performance Allyteams] Interview Chloé Trespeuch - Snowboard

9 février | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Chloé Trespeuch - Snowboard | Allyteams

Chloé s’illustre en snowboard cross, discipline dans laquelle elle a obtenu, lors de ses premiers Jeux en 2014, à 20 ans, et seulement 8 mois après une rupture des ligaments croisés, une médaille de bronze. Chloé a maintenant pour objectif les JO de 2022, à Pékin.

Participation aux Jeux Olympiques 2014, 2018 et 2022
Médaille(s): 1 x argent, 1 x bronze.

Comment se déroule une saison de snowboard cross ?

La période de compétition se déroule de décembre à mi-avril. Cette phase est composée d’une dizaine d’étapes de coupe du monde et un classement général est effectué à la fin de la saison. Ce classement correspond à l’addition de tous les points obtenus lors de chacune des étapes.

Nous avons également un championnat du monde, qui est une course d’un jour, tous les deux ans, puis les Jeux olympiques tous les quatre ans.

Sur l’organisation plus générale de l’année, nous débutons la préparation physique à partir de mi-mai, puis nous nous entraînons sur les glaciers en France en juin et juillet, et partons ensuite en stage en Amérique du Sud de mi-août à mi-septembre. Nous revenons ensuite nous entraîner en Europe sur les glaciers avant de débuter la compétition.

Comment définiriez-vous la performance ?

Je définirais la performance comme la recherche permanente de la progression, qu’elle soit physique, mentale ou technique, au quotidien lors que chaque entraînement, pour avoir la capacité de mobiliser son plein potentiel le jour J en compétition.

Quelle est, selon vous, votre plus belle performance ?

Ma performance la plus médiatique est l’obtention de la médaille de bronze lors des Jeux olympiques de Sotchi en 2014, c’est donc sûrement la plus belle en termes de reconnaissance.*

Cependant, en termes purement sportif, je pense que ma plus belle performance je l’ai réalisée lors des championnats du monde en 2017, lorsque je termine vice-championne du monde en individuel et que le lendemain nous devenons championnes du monde par équipe.

Lors de cette compétition, j’ai eu la sensation d’avoir bien géré tous les éléments, et ai eu le sentiment de ne pas avoir été loin d’être à 100% dans tous les domaines car je n’ai pas eu de faiblesse mentale, physique ou technique. Cette sensation est vraiment agréable car il y a très peu de courses lors desquelles je peux dire avoir été à 100% sur le temps d’effort ciblé, c’est-à-dire environ une minute trente, car il faut être prêt à ce moment-là, pendant cette courte durée, sans perdre ne serait-ce que deux secondes de mise en action.

A contrario, quelle est votre plus grande contre-performance ? 

Je dirais les championnats du monde en 2019 car je revenais de blessure et j’ai vraiment senti que je n’étais pas en pleine possession de mes capacités physiques, ce qui a eu pour conséquence de m’atteindre mentalement et je me suis laissé affaiblir, par le doute, sur ma capacité à mobilier les capacités physiques nécessaires pour performer. Je suis donc passée totalement à côté de cette compétition.

Deux de vos objectifs sont le titre olympique en 2022 et remporter le classement final de la coupe du monde. Quel est, selon vous, l’objectif le plus difficile à atteindre ?

Je pense que le classement de la coupe du monde est plus compliqué à remporter car cela demande la plus grande régularité sur tous les aspects de la performance (physique, mental, technique) tout au long de la saison, c’est-à-dire pendant cinq mois.

De plus, remporter le classement général de la coupe du monde nécessite beaucoup plus de polyvalence que remporter les Jeux olympiques car toutes les étapes de coupe du monde sont différentes, aucun type de neige n’est similaire, les parcours sont différents, ce qui contraint, à chaque fois, de choisir la bonne planche au bon moment, et que tout soit parfait durant cinq mois. C’est finalement cette régularité qui est complexe à obtenir.

Remporter les Jeux olympiques reste bien sûr très complexe car à la différence de la coupe du monde nous n’avons qu’une seule chance et pouvons perdre tout espoir de podium en raison d’une seule petite erreur. Cependant, nous avons connaissance à l’avance du parcours et de ses spécificités, ce qui permet de cibler les points à travailler pour réussir à être performant sur cette course d’un jour.

Une course de boardercross dure environ 1’30. Avez-vous le temps d’observer vos adversaires ou êtes-vous seulement concentrée sur votre performance ?

Nous avons le temps durant la course d’observer les adversaires et je dirais même que ce travail d’analyse est primordial, car il faut être en capacité de prendre les bonnes décisions pendant la course et celles-ci ne peuvent être prises que si nous sommes en capacité de réaliser une analyse précise et rapide des concurrents.

S’agissant de notre propre course, je dirais que nous avons moins besoin de nous concentrer sur elle car nous effectuons avant celle-ci un travail vidéo et de visualisation tellement précis que notre propre course devient instinctive. L’objectif derrière tout ce travail est de garder la totalité de notre capacité de concentration sur la course des autres.

Vous avez connu deux graves blessures (rupture des ligaments croisés du genou gauche en 2014 et rupture des ligaments externe et interne de la cheville en 2018) et avez réussi à obtenir d’excellents résultats dès vos deux retours. Comment expliquez-vous cette capacité à revenir très rapidement à votre meilleur niveau ?

Je pense que les blessures sont des moments qui me permettent de me recentrer sur l’essentiel, de faire un bilan de mon parcours à ce moment de la blessure, de ce qui allait ou, au contraire, ne fonctionnait pas, et donc de prendre le temps d’analyser.

Cette analyse est possible à ce moment-là car l’immobilisation du fait de la blessure contraint de se retirer de l’action.

Ce sont deux moments qui m’ont permis de prendre le temps de réfléchir et de réadapter ma stratégie, autant mentale que physique, et de remettre en place des choses plus précises et mieux adaptées grâce à cet effort de réflexion.

Cela permet également de stimuler sa motivation car les entraînements sont tellement prenants et intenses au quotidien qu’il est parfois complexe de maintenir un niveau de motivation très élevé durant toute la saison. Le fait d’être privée d’entraînements et de compétitions m’a permis de faire naître un pic de motivation très intense, que j’ai réussi à conserver sur une longue période, et cela est possible grâce au fait d’être repartie de zéro, avec l’envie de me prouver que j’étais capable de revenir à mon meilleur niveau.

Avez-vous tout de même douté lors de ces blessures ?

Oui bien sûr, même si ma réponse précédente ne le laisse pas forcément paraître, il y a beaucoup de doutes lorsqu’on subit une grave blessure.

Cependant, j’ai toujours pensé que le doute m’était bénéfique, que cela me faisait du bien de perdre ma confiance car cela m’oblige à me remettre en question et à me remettre de manière beaucoup plus intense au travail, alors que lorsque tout se déroule parfaitement, je pense avoir le réflexe de me reposer inconsciemment sur mes acquis ou prendre l’habitude de cette routine bien huilée qui fonctionne parfaitement.

Le doute n’a donc pas un effet paralysant chez moi mais me permet de m’activer plus que quand tout va bien. 
À tel point que parfois, quand je prends le départ d’une course et que tout va bien, c’est-à-dire lorsque j’ai réalisé de très bons entraînements et de bonnes qualifications, j’ai peur que cela aille trop bien et qu’inconsciemment je m’engage un peu moins. A contrario, lorsque je n’ai pas réalisé de bons entraînements ou que je n’ai pas de bonnes sensations, je suis à 100% car j’ai conscience que je n’ai pas de marge.

Vous pratiquez l’équitation dès que vous avez du temps libre. Qu’est-ce que vous apporte le fait de pratiquer une autre discipline ?

Pratiquer l’équitation est essentiel car cela me permet de m’aérer l’esprit, de pratiquer un sport avec un enjeu et une pression moindre que ceux que je connais avec le snowboard et donc de me déconnecter de la pression et de la compétition durant quelques heures.

C’est vraiment la décompression que je recherche en pratiquant l’équitation, et même si cette pratique empiète sur mon temps de récupération, le bienêtre mental que j’en retire est essentiel.

Vous semblez accorder beaucoup d’importance à votre bien-être mental en passant du snowboard à l’équitation mais également de la montagne à la mer dès que votre emploi du temps vous le permet.

Oui car le bien-être mental est essentiel afin de pouvoir être performant.

C’est en profitant de ces moments que j’arrive à obtenir cet équilibre mental, que j’ai la force d’être à 100% et de me dépasser lors des entraînements.

Si le fait de s’entraîner à haute intensité, d’essayer de toujours dépasser ses limites et de se sortir de sa zone de confort est fatigant physiquement, c’est également usant psychologiquement. Pour ma part, c’est la pratique de l’équitation mais également les quelques jours que je passe au bord de la mer, à Saint-Jean-de-Monts, avec ma famille, qui me permettent d’éviter cette usure, d’avoir la capacité de travailler intensément à l’entraînement et de tenir sur le long terme. 

Sur l’aspect mental, avez-vous eu l’occasion de travailler avec un préparateur mental ou avez-vous développé cet aspect seule ?

J’ai eu la chance de découvrir les bases, au début de ma carrière, d’une technique dérivée de la sophrologie, reposant surtout sur des temps d’entraînement à la concentration.

Pour moi, la maîtrise de la concentration est essentielle car cela me permet de gagner un temps précieux sur ma capacité à mobiliser et utiliser tout mon potentiel à la seconde où je le décide, et justement à ne pas perdre du temps à essayer de retrouver la concentration perdue.

Dès que je ressens une émotion négative, je me reconcentre sur ce que j’ai à faire afin de mettre de côté cette émotion et mobiliser mon cerveau que sur les aspects utiles.

Il transparaît de cette interview que vous accordez une grande importance aux capacités d’adaptation et de concentration. Laquelle des deux est la plus importante selon vous ?

Je dirais que les deux vont de pair. La capacité d’adaptation est essentielle dans mon sport car nous changeons tous les week-ends de parcours mais également de contexte et de pays. Il est donc nécessaire d’avoir la capacité de rapidement s’adapter afin de gagner du temps et de l’énergie.

La concentration elle est également essentielle car en ayant la capacité de la mobiliser facilement, lorsque j’en ai besoin, je gagne en énergie, et cela se traduit par des secondes au chronomètre.

 

* Interview réalisé avant les Jeux Olympiques de 2022 à Pékin.