[Livre Performance Allyteams] Interview Nodjialem Myaro - Handball

2 mars | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Nodjialem Myaro - Handball | Allyteams

Nodjialem est une ancienne joueuse de handball ayant remporté en 2003 le titre de championne du monde avec l’équipe de France. En 2013, elle met fin à sa carrière avant de devenir présidente de la Ligue Féminine de Handball.

Participation aux Jeux Olympiques 2000 et 2004.

Nodjialem, vous avez été joueuse de handball à haut niveau pendant 20 ans. Avez-vous constaté des différences entre votre génération et la génération actuelle ?

Oui bien sûr, j’ai constaté une différence entre mes débuts au plus haut niveau et les générations que j’ai côtoyées avant de mettre un terme à ma carrière en 2013, et celles que je côtoie désormais au sein de la Ligue Féminine de Handball. Cette différence s’explique notamment par l’importante évolution de l’écosystème du handball féminin qui a conduit à créer des différences relatives aux conditions de pratique du handball, aux contrats proposés, aux nombres et la qualité des entraînements, pour ne citer que ces exemples. Je dirais que ces changements sont dus à la professionnalisation accrue du handball féminin.

Il y a également des différences entre ma génération et la génération actuelle en termes de management. Je considère que ma génération était plus « docile », plus dans l’écoute et dans l’exécution des décisions du coach ou des joueuses d’expérience, alors que la nouvelle génération n’hésite pas à faire part de son point de vue, de son incompréhension voire de son mécontentement et a besoin que tous les choix soient expliqués.

Cette évolution a-t-elle pour conséquence de rendre plus difficile le management ?

Je ne sais pas si le management est rendu plus difficile du fait de cette évolution, cependant, elle oblige à ce que le management soit questionné et vu autrement.

D’un management qui pourrait être qualifié de vertical et autoritaire, nous sommes passés à un management plus horizontal et participatif.

Aujourd’hui, un coach ne peut pas fonctionner qu’à l’autorité alors que c’était encore le cas il y a une dizaine d’années.

Je pense que ce parallèle peut également être fait dans le monde de l’entreprise.

Est-ce que le mélange de générations dans une équipe la rend plus performante ou plus fragile ?

Tout dépend comment cette différence de génération est traitée. Lorsque nous vivons un choc de générations et que nous avons l’impression de ne pas parler le même langage avec les jeunes joueuses qui intègrent le collectif, des divergences de point de vue et des difficultés de communication peuvent très vite se produire et créer des fragilités.

Cependant, si, très vite, cette équipe réussit à utiliser ces différences pour faire naître des complémentarités, cela peut être une vraie réussite et donc un facteur de performance.

Ce mélange de générations dans une équipe ne peut donc être brutal et doit être accompagné.

À titre personnel, j’ai eu l’occasion de vivre l’intégration d’une nouvelle génération dans une équipe ayant fait naître des difficultés de compréhension et donc des aspects néfastes sur le collectif. À mon sens, pour éviter ce type de difficulté, le coach, ainsi que l’ensemble du staff, ont un rôle primordial à jouer. Je définirais ce rôle comme celui de passerelle, de facilitateur, pour que les joueuses d’une nouvelle génération se fondent dans le collectif et que le collectif en place accepte l’intégration des nouveaux éléments.

Comment définiriez-vous la performance dans votre sport ?

La performance se situe à plusieurs niveaux, ce qui ne facilite pas sa définition. Je la définirais comme la capacité à donner le meilleur de soi et à avoir l’envie et la volonté de réussir.

A mon sens, la performance peut être propre à chacun, elle est le fait d’avoir la capacité de se connaître et à mettre en œuvre tous les facteurs possibles pour tirer le meilleur de soi.

Il y a également la performance collective qui est l’agrégation du meilleur de chaque individu permettant d’obtenir les meilleurs résultats possibles.

Quelles sont la meilleure performance et la contreperformance les plus importantes de votre carrière de sportive ?

Sans aucun doute, ma meilleure performance collective est le titre de championne du monde en 2003 avec l’équipe de France, mais ce n’est pas forcément, à titre individuel, ma meilleure performance. J’ai donc obtenu le plus beau titre de ma carrière lors de cette compétition qui n’a pas été celle pendant laquelle j’ai été la plus performante individuellement.

A mon sens, j’ai réalisé ma plus grande performance individuelle au championnat du monde en 1999, lorsque nous avons terminé sur la deuxième marche du podium. Cette première médaille tricolore a d’ailleurs marqué le début d’une belle aventure pour le groupe.

S’agissant de la contre-performance, je dirais que ce sont les Jeux olympiques, à Sydney en 2000.

Nous étions sur une bonne dynamique après notre deuxième place au championnat du monde l’année précédente et avions pour objectif d’aller décrocher une médaille. Malheureusement, nous avons terminé la compétition à la sixième place, ce qui reste une réelle déception car nous avions les ingrédients pour réussir mais avons fait preuve de mauvaise gestion dans certains domaines, ce qui a conduit à cette contre-performance.

Vous terminez 6ème en 2000 et 4ème en 2004 des Jeux olympiques. Est-ce que ces deux résultats restent des regrets ?

Je n’utiliserais pas le terme de regret mais celui de déception car je n’ai pas envie de vivre avec des regrets. En revanche, je n’ai pas de difficulté à faire un bilan et à affirmer que ces deux performances sont décevantes.

En outre, au-delà de la déception de la contre-performance, il y a la déception liée à la façon dont ces contreperformances se sont construites.

Qu’est-ce qui vous a manqué lors de ces deux olympiades (2000 et 2004) pour décrocher une médaille alors l’équipe avait abordé ces deux compétitions en étant vicechampionne du monde en 1999 et championne du monde en 2003 ?

C’est une bonne question à laquelle il n’est pas aisé de trouver une réponse. Il y a forcément plusieurs éléments qui nous ont conduits à ces contreperformances.

Lors des Jeux olympiques de Sydney, je pense qu’il y a eu une forme de naïveté et d’inexpérience de l’équipe qui ne nous ont pas permis de gérer l’enjeu de la meilleure des manières.

Cette inexpérience s’est notamment fait ressentir dans le fait que nous n’étions peut-être pas préparées à vivre ensemble aussi longtemps.

Nous sortions du championnat du monde de 1999, lors duquel nous avions laissé beaucoup d’énergie, et où nous terminons sur une finale perdue. Il a ensuite fallu entamer une longue préparation en vue des Jeux olympiques, puis vivre les Jeux olympiques qui est une compétition particulière pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, contrairement aux autres compétitions auxquelles nous avions l’habitude de participer (championnats d’Europe et du monde) et dans lesquelles les matchs se jouent à peu de jours d’intervalle, la compétition olympique est plus longue, il y a donc plus de temps « off » entre les matchs et nous n’avions pas anticipé ce paramètre.

De plus, les Jeux olympiques sont une compétition particulière avec une ambiance différente due au fait qu’il y ait de nombreuses disciplines sportives. C’est donc une atmosphère incroyable dans laquelle, inconsciemment, il est possible de très vite perdre la concentration nécessaire à la compétition et à la réussite. Nous avons fait, je pense, preuve d’inexpérience sur cet aspect alors que certaines nations, qui avaient l’habitude de participer aux JO, l’avaient totalement intégré.

Enfin, je pense également que l’inexpérience et l’insouciance ont fait que nous nous sommes dit que si nous avions décroché une médaille en 1999, il n’y avait pas de raison de ne reproduire cette performance un an après. Nous sommes restées sur cette dynamique, alors que, peut-être nous, aurions dû anticiper certaines difficultés en nous remettant en question car aux yeux de nos adversaires notre statut avait changé.

Avec le recul, et en faisant la synthèse de tous ces éléments d’explications, je pense pouvoir dire que nous ne décrochons pas de podium en raison d’éléments hors terrain qui ont été des freins pour l’équipe, des obstacles à la réussite, et qui ont fait naître des tensions dans le groupe. Nous avons perdu de l’énergie et nous n’avons donc pas pu être performantes sur le terrain.

Parlons de votre succès de 2003 avec votre titre de championne du monde. N’est-il pas complexe de se remotiver après avoir remporté un titre aussi prestigieux ?

À titre personnel, je n’ai eu aucune difficulté à repartir à l’entraînement, au contraire gagner une compétition donne envie de gagner toutes celles qui suivent pour revivre les émotions procurées par la victoire, et nous savons que seul le travail pourra permettre de triompher de nouveau. Ce sont des émotions personnelles mais également collectives qui sont indescriptibles. C’est donc naturellement que l’on repart à l’entraînement pour se préparer à gagner de nouveau, même s’il y a tout de même une fatigue physique et psychique qui apparaît après un succès lorsque l’émotion et les sollicitations retombent.

Est-ce que le fait que l’équipe masculine de handball ait gagné de nombreuses compétitions durant les vingt dernières années a été une aide ou un frein pour l’équipe féminine ?

Cela a été une aide, une source d’inspiration de voir les garçons dans notre sport, c’est-à-dire notre famille, gagner. Nous avons d’ailleurs pu en échanger ensemble régulièrement, et leurs succès nous ont donné la sensation et l’espoir que s’ils pouvaient les obtenir, nous pouvions également le faire.

Pour ma part, je n’ai donc jamais perçu leurs succès comme un élément limitant pour l’équipe féminine, au contraire. De plus, ils ont inspiré de nombreuses joueuses, car, à titre personnel, j’ai commencé ma carrière avec l’équipe masculine comme modèle. Ce n’est pas l’équipe féminine qui me faisait rêver mais les « Barjots ». L’osmose entre les deux équipes actuelles prouve aussi cette fierté commune et réciproque.

Est-il, selon vous, indispensable de faire passer le plaisir avant la performance ?

Oui car le plaisir est l’un des leviers forts de la performance, non seulement à un instant « t » mais également sur le long terme car plus une personne va prendre de plaisir dans ce qu’elle réalise, plus elle aura l’envie de continuer.

J’estime que la notion de plaisir personnel, intrinsèque, est importante. A ce plaisir individuel s’ajoute le plaisir partagé avec le collectif.

Le plaisir de jouer est essentiel car c’est ce qui permet d’accepter des contraintes telles que la difficulté des entraînements et la préparation physique intense. Nous savons que ce sont des passages obligatoires qui nous permettront, une fois réalisés, de prendre du plaisir à jouer.

Je dirais donc que la notion de plaisir est le socle de la performance, elle entraîne la motivation, la détermination, et donc favorise la performance à court et long terme.

Comment gère-t-on les égos dans une équipe ?

C’est une gestion d’une grande complexité, notamment dans le sport avec des individus qui ont un fort égo. Il est donc primordial que le coach prenne un rôle important, que chaque individu se sente respecté dans sa totalité et malgré les égos surdimensionnés de certains joueurs d’une équipe.

Pour qu’un collectif fonctionne malgré les différents égos, il est, à mon sens, nécessaire d’attribuer des rôles bien identifiés pour que chacun, de manière individuelle, puisse se sentir important au sein du collectif et ait son égo valorisé même si même si le temps de jeu est plus réduit pour certains.

Dans le sport collectif, il y a des joueurs auxquels sont confiés des rôles importants et d’autres des rôles moindres. Cependant, le rôle moindre est tout de même très important pour l’équilibre d’un collectif et pour que le joueur en ait conscience, il faut que ce rôle soit bien défini. Une mauvaise définition de ce rôle pourrait donner au joueur un sentiment d’inutilité, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter les égos de certains et faire baisser les égos des autres. Tout le monde est important dans un groupe.

C’est donc au manager de poser ce cadre collectif pour que chaque individu trouve sa place.

Ce n’est que si ce cadre avec, à l’intérieur, un rôle bien défini pour chaque joueur est posé, que l’individu pourra s’épanouir et prendre son rôle à cœur.

Cela permet également que chaque joueur se concentre sur son rôle, performe sur celui-ci, et évite de s’éparpiller.

Est-ce que certaines joueuses, du fait de leur niveau de jeu, leur palmarès ou leur expérience, bénéficient de plus de liberté que leurs coéquipières dans la vie de groupe et sur le terrain ?

De quelle liberté parlons-nous ? Dans la vie de groupe, cela pourrait être vécu comme une rupture d’égalité et une injustice par le reste du groupe de laisser des joueuses avoir plus de libertés que d’autres.

Il est nécessaire d’avoir une cohérence dans la vie de groupe. En dehors du terrain, chacune peut avoir son espace de liberté propre mais dès lors que tout le groupe bénéficie de cette liberté. Je trouverais cela périlleux de faire de telles différences de traitement, et si cela devait être fait, il faut que ce soit bien expliqué au groupe voire validé par le groupe.

Sur le terrain, c’est différent car certaines joueuses ont un jeu nécessitant une liberté, d’autres ont un jeu plus prévisible. Pour un entraîneur, c’est important d’avoir ces deux types de joueuses dans son effectif.

Cependant, comme dans tout sport collectif, il est nécessaire que le collectif respecte des principes de jeu, des bases communes, je dirais donc que chaque joueuse bénéficie d’une liberté d’expression de son jeu dès lors qu’elle respecte les principes de bases et le cadre fixé par l’entraîneur. Je suis d’ailleurs persuadée qu’une joueuse va être encore plus libre si elle respecte bien le cadre collectif qui a été posé par le coach.

J’insiste donc volontairement sur cette notion de cadre, une fois que celui-ci est bien posé et compris par chaque joueur, alors chacun comprendra naturellement où se situe son espace de liberté.

Vous êtes psychologue de métier. Est-ce que le fait d’avoir fait des études de psychologie a été une aide dans votre carrière de sportive ?

Je ne sais pas si ce a été une aide, sans doute, mais j’ai toujours fait le choix de différencier ma formation professionnelle de mon sport.

Sur le terrain, je me considérais comme une handballeuse et non comme une psychologue. De plus quand on vit les évènements et compétitions pleinement, il est complexe de bénéficier du recul nécessaire pour les analyser. Je dirais que je suis consciente de ce que le sport m’a apporté mais je n’ai jamais voulu prendre le temps de l’analyse car j’avais envie de vivre pleinement ma vie de sportive de haut niveau.

Avec l’expérience, et à l’approche de ma fin de carrière de sportive, j’ai vraiment souhaité partager avec les jeunes joueuses. Cependant, c’était un partage d’expérience, une transmission de savoirs et non les conseils d’une psychologue car je ne souhaitais pas être la psychologue de mes coéquipières.

Je pense cependant que mes études de psychologie m’ont aidée à deux périodes de ma carrière sportive. Durant les périodes de blessures, j’en ai même fait mon sujet de mémoire, ainsi qu’à la fin de ma carrière. Je pense que lors de ces périodes, grâce à ma formation professionnelle, j’ai eu le recul et l’analyse nécessaires pour faire les bons choix.

L’une de vos activités professionnelles est l’accompagnement des athlètes vers la performance. Comment cet accompagnement se matérialise ?

L’accompagnement à la performance nécessite un accompagnement sur la connaissance de soi. C’est dans cette optique que je travaille avec les athlètes pratiquant tant un sport collectif qu’un sport individuel.

Cette première affirmation rejoint ce que je disais précédemment dans l’interview. Pour être performant, il faut apprendre à se connaître, c’està-dire connaître ce qui va être bon pour soi, ce qui va être une aide, mais également ce qui peut être un frein, et se connaître dans sa globalité pour trouver un équilibre.

C’est donc un travail non pas seulement au niveau de l’athlète, mais au niveau de la personne dans sa globalité, l’athlète n’étant qu’un pan de la personne.

Il y a ensuite un accompagnement sur le plan de la préparation mentale. S’engager dans la préparation mentale, et dans la gestion de ses émotions, permet de mieux se connaître.