[Livre Performance Allyteams] Interview Hervé Remaud - KEDGE Business School

18 mars | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Hervé Remaud - KEDGE Business School | Allyteams

Hervé Remaud est Professeur Senior de Marketing à KEDGE Business School et Directeur du Global Executive MBA de KEDGE.

PRISE DE RISQUE ET PERFORMANCE

Regards croisés d’un sportif de haut niveau et d’un directeur d’entreprise.

La relation entre la prise de risque et la performance d’une entité ou d’un individu est le plus souvent perçue de manière positive. Dans le monde de la finance, les investisseurs s’attendent ou comptent sur un retour sur investissement plus élevé dès lors que la prise de risque sur cet investissement est, elle aussi, plus importante. Dans le monde de l’entreprise, la face émergée de l’iceberg tend à légitimer les ‘success stories’ par une prise de risque de la part de l’entrepreneur, laissant dans l’oubli tous ceux qui ont pris des risques et n’ont pas performé. Dans le monde du sport, prendre des risques peut aussi être source de performance. Dans bien des cas, les sponsors remplacent les actionnaires et la quête d’un dépassement de soi pour devenir un ‘champion’ passe bien souvent par une plus grande prise de risque physique et mentale de la part de l’athlète.

De la même manière que les entreprises peuvent avoir un cycle de vie, les sportifs de haut niveau ne peuvent pas rester à leur plus haut niveau tout au long de leur vie. Vient donc un moment dans ces cycles de vie où la prise de recul sur les exploits réalisés permet de mettre en perspective ces deux concepts, de les challenger, et pourquoi pas les dissocier. C’est dans cet objectif qu’une discussion a été menée avec deux participants du Global Executive MBA de KEDGE Business School, Grégory Duquesne, directeur général de la société Sogema Engineering, et Sidney Gavignet, skipper professionnel et fondateur / directeur de la société Cap Horn Consulting.

Quelle définition donnez-vous au concept de risque ?

GD : en tant que Directeur Général d’une PME industrielle spécialisée dans la conception et la fabrication de machines-outils dédiées à la maintenance ferroviaire, le risque est un passage obligatoire pour faire évoluer le projet d’entreprise. Même si trop de prudence peut empêcher une société d’évoluer, il faut néanmoins tout mettre en œuvre pour tenter de maitriser les risques et ainsi ne pas les subir. Cette maitrise ou gestion des risques passe par une identification et une évaluation qui s’accompagneront d’un pilotage d’actions et de mesures de prévention visant à réduire la probabilité que ces risques surgissent, où à minima d’en réduire les impacts.

SG : le risque est une probabilité. Il se mesure et s’évalue. Le contrôle du risque est un mode de fonctionnement et la difficulté réside dans la subjectivité des critères d’évaluation. La notion de risque et de son contrôle est un moteur de progrès, celui de notre lucidité et de notre clairvoyance.

En tant que Directeur/Sportif de haut niveau, prenez-vous / avez-vous pris des risques ?

GD : la prise de risque est régulière et dans tous les domaines. Accepter des conditions de contrat inhabituelles ou s’engager avec un client dans un pays ‘exotique’ à l’export. Accepter un contrat significatif dans un délai plus court que ce dont nous avons l’habitude de réaliser ou encore faire le pari d’une nouvelle technologie innovante ; tout comme développer une nouvelle gamme de produits ou promouvoir un jeune collaborateur à un poste stratégique. Autant de risques que de nouvelles opportunités, pourvu que les risques soient identifiés en amont et maitrisés.

SG : 2010, se préparer pour la Route du Rhum en se lançant dans une tentative de records du Tour des Iles Britanniques et Irlande comportait de nombreux risques. L’objectif n’était pas de prendre des risques, mais de se préparer au mieux en augmentant le niveau des contraintes. La maîtrise de ces risques, en connaissance, fut éprouvante. Mais au passage de cette préparation de qualité, sans qu’il ait été un objectif prioritaire, je battais un record (toute catégorie) tenant depuis de nombreuses années. Dix ans après, il tient toujours. 2014, traverser l’Atlantique en Solitaire sur un trimaran de 21 mètres comportait de nombreux risques… sur 7 bateaux identiques, 3 avaient déjà chaviré en équipage ! Le risque de chavirer était de 50/50..., et de nombreuses questions émergent : que fait-on de ce risque ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Qu’engendre le risque s’il se réalise ? Comment eston préparé à gérer cette possibilité ? Quel sera le coût de cette éventualité ? La vie ? Quelles seraient les conséquences de cette éventualité ? Quel est le poids de cette prise de risque sur notre environnement (social, familial, écologique, etc.…). Ensuite, on décide, en conscience et en connaissance du prix à payer, si oui ou non on s’engage sur le chemin qui comporte ce risque. Le risque doit être associé à la conscience.

Quelle définition donnez-vous au concept de performance dans votre domaine / fonction d’activité ?

GD : dans l’entreprise, le concept de performance réside dans l’accomplissement, l’exécution voire le dépassement des objectifs fixés.

SG : ma vision de la performance a évolué. Pendant longtemps, je n’ai vu que le résultat brut, c’est-à-dire le classement, le chiffre. J’ai compris maintenant que la performance est un tout, dont le résultat fait seulement partie. Depuis cette prise de conscience et de recul, mes résultats ont significativement progressé. Il s’agit du «lâcher prise». La performance est un équilibre entre plusieurs critères, elle ne sépare pas la vie globale de l’activité spécialisée. C’est la moyenne des curseurs qui compte, le risque en fait partie et doit être au plus bas.

En tant que Directeur / Sportif de haut niveau, êtes-vous performant ?

GD : nous définissons souvent la performance par l’accomplissement des objectifs fixés. Au niveau de la fonction de Directeur, les objectifs principaux fixés sont souvent orientés sur le bénéfice, le chiffre d’affaires et la prise de commandes. À ce titre, la performance est majoritairement au rendez-vous depuis les 3 dernières années. Mais la performance d’entreprise ne se résume pas à une personne. Il s’agit d’un collectif qui se mobilise et partage le même but d’accomplissement d’un objectif commun, et c’est en jouant collectif que l’on peut espérer gagner.

SG : je l’ai été de plus en plus au fur et à mesure que je prenais du détachement face à mon activité. Le détachement permet d’être davantage dans l’instant présent, et ce positionnement est performant car il permet l’utilisation optimale de nos sens (pour capter les signaux d’information), de notre expérience (puiser dans le catalogue du vécu) et d’utiliser au mieux notre savoirfaire. Être dans le présent est une démarche performante c’est accepter les difficultés et contraintes (comme faisant partie du chemin), permettant leur gestion au plus efficace, jusqu’à les transformer en opportunité. Être dans le présent, c’est également être au plus proche de notre environnement (matériel et vivant), attentif, pour en permettre son déploiement.

Il est d’usage de dire que plus la prise de risque est élevée, plus le potentiel de performance est élevé. Comment cela se matérialise-t-il dans vos activités respectives ?

GD : dans la finance il est coutume de dire que toute rentabilité élevée s’accompagne d’un risque important, et inversement, tout placement sûr est assorti d’une faible rentabilité. Dans le monde de l’entreprise ce couple performance risque est également présent mais il y a une recherche d’équilibre optimal permanent. La prise de risque sera très influencée par le profil des actionnaires. En ce qui me concerne, dans le but de rechercher une rentabilité supérieure, nous avons développé de nouvelles activités sur des marchés internationaux reconnus à risques (Amérique Latine, Afrique et Asie). De fait, nous avons dû affronter de nouveaux risques comme les risques politiques, fiscaux, risques d’impayés, de surcroit, souvent dans un cadre d’instabilité juridique. Néanmoins, naviguer sur ces marchés complexes nous a permis d’atteindre nos objectifs de marges et de rentabilité. Les entreprises évoluent dans un environnement de plus en plus incertain et de plus en plus mouvant, en tout état de cause, souhaiter améliorer sa rentabilité ou plus généralement sa performance passe inévitablement par l’acceptation de prendre et gérer plus de risques.

SG : Je ne partage pas tout à fait cette idée. La prise de risque est liée à la préparation et aux compétences, puis à la prise d’information. Quand ces trois éléments sont réunis, on mesure le risque, puis l’on décide. La prise de risque n’a de sens que quand elle est mesurée. La prise de risque s’intègre dans un ensemble dont elle ne doit pas compromettre l’équilibre. La vision du risque dépend des éléments dont dispose celui qui l’évalue.

À travers ces témoignages, on constate que la prise de risque, plus ou moins maitrisée, est vecteur de plus grande performance. Dans cette perspective, on peut supposer qu’une plus grande prise de risque, au fil du temps, ne signifie pas pour autant un plus grand risque encouru. L’accumulation d’expérience - sportive ou de gestion d’entreprise -, la prise de recul individuelle et collective vis-à-vis de ce risque, et une vision plus holistique de la performance et de ses antécédents permet d’appréhender la prise de risque comme un engagement qui, quand bien même serait-il plus poussé, « n’exclut pas l’ajustement, voire le renoncement lorsque la situation s’avère trop périlleuse ».

(Raveneau, 2006, https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2006-4-page-581.htm)