Thierry Dusautoir se confie sur sa nouvelle vie : «Je n'ai pas peur d'accepter d'être un élève»

15 juin | Actualités | Fanny RENOU

Thierry Dusautoir se confie sur sa vie "d'après-rugby", ses nouvelles activités ainsi que l'apport du sport de haut niveau dans sa nouvelle vie professionnelle.

Par Philippe Lauga. Article publié sur le site de la dépêche.fr (lien). 

ll y a un peu plus d'un an, il jouait son dernier match de rugby face à Bayonne à Ernest-Wallon. L'ancien capitaine des Bleus et du Stade Toulousain a basculé immédiatement dans une autre vie qu'il nous raconte aujourd'hui. Entretien.


En début de saison, vous avez écrit une chronique dans le Huffington Post dans laquelle vous disiez que le terme petite mort était un peu excessif…

Oui car je voulais aborder l'après-carrière sous un œil plus positif et plus enthousiasmant. C'est vrai que c'est la fin de quelque chose et des repères qu'on s'est construit dans mon cas pendant 17 ans. Mais aussi le début d'autres choses. D'autres projets, la rencontre d'autres personnes.

Et vous aviez de l'appréhension ?

Oui car je sortais de mon cadre, de ma zone de confort entre guillemets. J'avais à la fois de l'appréhension et de la curiosité, de l'envie de découvrir d'autres choses. C'était un sentiment mêlé que j'ai essayé de prendre de la façon la plus positive possible.

Comme une deuxième vie ?

Une deuxième vie je ne sais pas mais comme la construction d'autre chose dans ma vie. Quand j'étais ado, je n'ai jamais pensé que je serais joueur de rugby. Donc ce n'était qu'une étape très importante et essentielle dans ma construction en tant que personne. Mais je n'ai jamais considéré comme une fin en soi d'être joueur de rugby. Ce fut une étape assez importante et maintenant je suis dans une autre.

Il a quand même fallu de nouveaux repères…

Oui forcément, tu te construis de nouveaux repères parce qu'il faut prendre un nouveau rythme. Tu te trouves d'autres challenges. Ton environnement pro est différent, évolue. Mais sans couper le lien avec le rugby car je n'en ai aucune envie.

Et maintenant avec un an de recul, est-ce que vous pensez que votre après-carrière a été bien préparé ?

Disons que je m'étais bien préparé parce que mentalement, cela a toujours été important pour moi de ne pas m'arrêter à ce que je faisais là mais de regarder plus loin. C'est pour ça que, quand j'ai commencé à être pro à 19 ans, j'ai tenu à aller jusqu'au bout de mon cursus universitaire. Pendant toute ma carrière, je me suis dit «qu'est-ce que je ferai après ? Qu'est-ce que je vais construire pour demain ?» Pour ne pas ressentir ce vide-là.

Donc les journées n'ont pas été longues à la fin de votre carrière…

Oui parce que j'ai anticipé mon après carrière. J'ai investi en 2008 dans une société «Allmysms» à Nice qui est une plateforme d'envoi de SMS. Quand je jouais, j'étais présent mais aujourd'hui, je m'en occupe encore plus. Je suis partie prenante des décisions stratégiques. C'est génial parce que j'apprends tous les jours le nez dans les chiffres. J'ai monté en 2015 une autre société d'import-export avec l'Argentine. Là je suis encore dans la phase d'apprentissage. Je rencontre d'autres personnes et j'ai d'autres projets. Je ne m'ennuie vraiment pas. Ce qui est intéressant, c'est que je suis en perpétuel apprentissage.

Racontez-nous votre quotidien…

Je vais à Rungis à quatre ou cinq heures du matin. Je rencontre des importateurs, des grossistes qui m'expliquent leur travail, leur métier. Je découvre un monde complètement différent. Les gens sont surpris de me voir là. C'est un autre échange mais j'apprends différemment. Je suis moins sous le feu des projecteurs mais je n'ai pas besoin de passer à la télé ou de faire la une des journaux pour m'épanouir.

Concrètement, vous vendez du citron et des oranges ?

Oui en provenance d'Argentine. Ce qui me plaît, c'est d'avoir un pied en Argentine avec mes associés ; et un pied ici. Une forme de pont entre ces deux pays. Aujourd'hui, c'est l'Argentine mais demain ce sera d'autres pays. Mais encore une fois, je fais ça de façon très tranquille parce que je suis en phase d'apprentissage. L'expérience que j'ai gagnée au rugby, je ne l'ai pas eue dans d'autres secteurs. Je suis confronté à la réalité d'un chef d'entreprise, à de la gestion de trésorerie, à de l'organisation. C'est bien parce que cela aurait été dommage qu'à 35 ans je sois blasé.

Et à cinq heures du matin à Rungis, on rencontre des gens qu'on n'a jamais rencontrés auparavant…

Exactement. En plus ce qu'il y a de sympa, c'est que dans tous les métiers autour de la bouche, on retrouve des gens qui aiment le rugby. Et puis, il n'y a pas de cérémonial, le contact se fait rapidement. On est assez vite accepté dans l'échange. Je me rappelle bien une des premières fois. J'y suis allé à onze heures, il y avait les bouchers qui avaient commencé à une heure du matin et qui terminaient la journée. J'ai été confronté à une autre réalité. C'est marrant de découvrir qu'il y a un autre monde. Le danger qui nous guette quand on est dans une activité, c'est qu'on est vraiment hyperconcentré sur notre secteur. Tout tournait autour du match. Même ma vie de famille était organisée autour.

En quoi le rugby vous sert dans vos activités professionnelles aujourd'hui ?

Le sport de haut niveau, il faut avoir un peu de chance mais en général, c'est au prix du travail effectué que tu as des résultats. Quand tu commences à être vraiment performant et être dans un bon cycle, ce n'est pas parce qu'à l'instant T, tu fais ce qu'il faut. C'est parce que tu as fait ce qu'il fallait les semaines précédentes. Le sport de haut niveau t'apprend la valeur du travail. Je n'ai pas peur aujourd'hui d'accepter d'être un élève et d'apprendre tous les jours auprès des gens que je rencontre dans différents domaines. Je suis une éponge. Chaque fois que je rencontre quelqu'un pour mes affaires, je prends ça comme une leçon, un cours magistral. Peut-être que le rugby m'a amené à cette humilité-là. Je pars d'une position où j'étais un sachant et aujourd'hui je suis quelqu'un qui apprend. Pour moi, cela ne pose pas de problèmes parce que je ne le subis pas, je l'ai choisi.

Votre ancien rôle de capitaine vous aide également ?

Être capitaine m'a amené à comprendre les partenaires, les gens avec qui je fonctionne. C'est quelque chose qui m'est utile aujourd'hui. Ce n'est pas des choses que j'avais en moi avant le rugby. J'ai eu pour habitude de diriger des groupes assez importants avec des ego forts, de fortes personnalités qui m'ont appris à avoir ce recul-là.

Et le message, c'est toujours le même, la force du groupe pour l'intérêt commun ?

Je pense que cela doit l'être. Dans un groupe, avoir une ambition personnelle c'est normal. C'est même sain d'avoir des gens qui ont envie d'évoluer, de grandir mais cela ne doit pas être au détriment du groupe parce qu'à ce moment-là, on devient contre-productif pour le groupe et surtout pour soi-même. Ce qu'on apprend dans le sport, c'est ça. Tout ce qu'on fait, c'est pour le groupe parce que si on a un groupe performant, on va retirer encore plus de bénéfices que si on fait les choses dans son coin.

Vous avez dit un jour que le rugby vous avait aidé à vous ouvrir vers les autres. Vous le ressentez également dans votre activité professionnelle ?

C'est vrai que je ne suis pas un grand orateur, quelqu'un entre guillemets de très sociable. Mais cela ne me coûte pas d'efforts d'aller vers les autres parce que ce que je fais m'intéresse. J'aime apprendre. C'est sûr que lors d'un premier rendez-vous avec un client, je ne suis pas fier. Ou lorsque j'appelle pour démarcher. OK tu es Thierry Dusautoir, tu as été joueur de rugby, mais après lorsque tu discutes des termes d'un contrat, c'est le milieu des affaires qui reprend ses droits et donc tu es un fournisseur comme un autre. C'est aussi bien d'avoir une bonne dose d'humilité sinon tu tombes de haut.

Quel est votre rapport avec le rugby aujourd'hui ?

Celui d'un passionné qui suit ça. Je continue à voir mes copains. Je ne les vois pas au Stade parce que je ne viens pas. Mais je les vois en dehors. Je ne les vois pas autant que je voudrais en raison de nos emplois du temps respectifs. De toute façon, tu ne coupes pas le lien comme ça. Mais c'est dans un autre contexte. Il n'y a plus le match du week-end.

Avez-vous eu des propositions pour revenir dans le rugby ?

Non… Le Stade Toulousain a gardé la porte ouverte. J'en suis flatté. J'ai voulu d'abord me confronter à d'autres choses. Peut-être que dans quelques années, j'en aurais le goût et j'aurais envie de me confronter à une autre structure sportive. Mon envie, c'est d'apprendre d'autres choses. Et je pense que ce que je suis en train d'apprendre aujourd'hui me permettra de revenir plus fort dans le rugby. Aujourd'hui, cela va peut-être faire rire les gens qui vont lire ça mais ma passion c'est d'apprendre les chiffres, d'apprendre à faire un bilan, à étudier la santé d'une société. Car pour moi c'est autre chose, c'est neuf, c'est nouveau. Je me dis que les compétences que je suis en train d'acquérir aujourd'hui me permettront d'avoir une vision plus large le jour où je reviendrai dans le sport.

Quand vous regardez un match à la télévision, quel est le moment le plus difficile ?

Les quelques secondes où je me dis : «Ah qu'est-ce que j'aimerais être avec eux», c'est quand les joueurs sortent sur le terrain. Quand ça explose comme un feu d'artifice. Tu t'es entraîné toute la semaine pour ces moments-là et pendant quelques secondes tu prends un shoot d'adrénaline qui est unique. Mais dès les premiers chocs, je me dis que je suis très bien dans mon fauteuil…