[Livre Performance Allyteams] Interview Yvan Wouandji - Cécifoot
Joueur international de cécifoot, Yvan a remporté le championnat d’Europe avec l’équipe de France en 2011 et une médaille d’argent aux Jeux olympiques de 2012 à Londres. Il suit en parallèle des études de journalisme.
Participation aux Jeux Paralympiques 2012 et 2020.
Médaille(s): 1 x argent.
Yvan, pourriez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Yvan Wouandji et j'ai 27 ans. J’ai perdu la vue à l’âge de 10 ans et ai commencé à jouer au cécifoot, en loisir, afin de découvrir la discipline, à l’âge de 13 ans.
Ce sport m’ayant beaucoup plu, j’ai débuté la compétition à l’âge de 15 ans, et ai connu ma première sélection en équipe de France deux ans plus tard, en 2010.
Dès 2011, j’ai été champion d’Europe avec l’équipe de France en Turquie, puis nous avons décroché une médaille d’argent, en 2012, lors des Jeux paralympiques de Londres. En 2013 j’ai été élu sportif français espoir de l’année.
Lors de la saison 2015-2016, j’ai été champion de France avec mon club de Saint Mandé, puis ai été élu meilleur joueur du championnat de France lors de la saison 2018-2019.
Pourriez-vous nous expliquer comment se pratique le cécifoot ?
Nous jouons à 5 contre 5 sur un terrain faisant la taille d’un terrain de handball, et ce pendant deux mi-temps de 25 minutes chacune.
Le gardien de but est voyant et les 4 joueurs de chaque équipe portent un bandeau sur les yeux car certains joueurs voient légèrement, tandis que d’autres ne voient pas. Derrière le but adverse, nous avons un guide. Le rôle de ce guide, qui est voyant, est de nous orienter afin que nous puissions repérer le but adverse. Dernier élément à préciser, le ballon contient des grelots afin que nous puissions l’entendre.
Comment définiriez-vous la performance ?
Pratiquant un sport collectif, j’ai toujours une vision collective de la performance.
La performance est donc le fait de parvenir à atteindre les objectifs que l’équipe s’est fixés. Si les objectifs s’entendent souvent par la fixation d’un résultat à atteindre, je pense qu’ils doivent être également fixés sur d’autres aspects.
Dans mon sport, les objectifs que nous nous fixons sont également ceux de produire du beau jeu, se faire plaisir, procurer de l’émotion aux spectateurs qui suivent un match de cécifoot, etc. Nous ne nous limitons pas seulement aux résultats.
Enfin, je rajouterais également qu’il ne peut y avoir de performance sans une grande rigueur et une répétition des efforts au quotidien.
Nous comprenons de votre réponse que vous liez émotion, plaisir et performance.
Oui, je vous le confirme, je pense que tout est lié car il ne peut pas y avoir de performance s’il n’y a pas de plaisir et d’émotions.
S’il n’y a pas de joie, ou de satisfaction lorsque l’équipe s’entraîne, je pense que celle-ci ne pourra espérer réaliser de grandes performances sportives.
Vous êtes l’un des meilleurs joueurs de votre sport, vous fixez-vous des objectifs individuels pour rester à un niveau de performance élevé ?
Oui je m’en fixe énormément, j’essaie de toujours m’entraîner plus, de m’obliger à être encore plus rigoureux à chaque séance d’entraînement, puis à réaliser un travail individuel supplémentaire, sur mon temps libre, en plus des entraînements collectifs.
Outre l’entraînement physique ou technique, j’essaie de réaliser un travail mental puis un travail d’analyse de mes matchs en me les remémorant et en essayant d’en tirer des axes d’amélioration, afin de pouvoir être plus performant les matchs suivants.
Quelle est votre plus grande performance sportive ?
J’ai énormément de souvenirs, et ma plus grande performance n’est pas forcément un titre. Pour moi, s’entraîner toute l’année avec mes coéquipiers, prendre du plaisir en équipe et gagner des matchs constituent une grande performance.
Si je devais citer un titre qui m’a marqué, je dirais celui obtenu lors des championnats d’Europe en 2011. À cette époque, je jouais avec l’équipe de France depuis seulement 1 an, j’avais donc peu de recul et nous avons tous réalisé une grande compétition. Nous avons joué chaque match sans calcul, et sans réflexion, ce qui nous a menés à la victoire finale. Cela a été possible car à l’époque nous n’étions pas favoris et n’avions donc aucune pression.
Enfin, pour vous citer un souvenir d’un exploit personnel, je dirais un but que j’ai marqué contre l’Allemagne, à 3 minutes de la fin du match, qui nous a permis de gagner 1-0.
A contrario, quelle est votre plus grande contre-performance ?
Sans hésitation, c’est notre non-qualification pour les Jeux paralympiques de Rio en 2016. Afin de pouvoir obtenir notre billet de qualification pour cette compétition, il fallait être, a minima, finaliste du championnat d’Europe en 2015.
Nous avons terminé 5ème de ce championnat, bien loin des places qualificatives. C’est une réelle déception, nous n’avons pas été à la hauteur sur le terrain, et il y avait des tensions extra sportives autour du groupe.
Cela reste une réelle déception, même 5 ans plus tard, car jouer au Brésil, pays du football et du cécifoot est un rêve pour tous les joueurs. À l’époque, j’ai regardé la compétition à la télévision et chaque match regardé ne faisait que faire ressortir ma déception de ne pas participer à cette grande fête.
Vous avez perdu la vue à 10 ans, ce qui vous a contraint de passer du football au cécifoot, comment avez-vous vécu ce changement ?
Je dirais que la découverte du cécifoot a été une agréable surprise car avant l’âge de 10 ans je ne savais pas que le cécifoot existait. Lorsque j’ai perdu la vue, j’ai découvert progressivement le milieu du handicap visuel et ai compris et appris le quotidien d’une personne malvoyante, puis les adaptations nécessaires à mettre en œuvre, au quotidien, du fait de ce handicap. Ce n’est que par la suite que j’ai découvert le cécifoot.
Ce sport demande une approche totalement différente par rapport au football notamment dans les déplacements sur le terrain et dans la communication car elle devient primordiale et encore plus importante que dans le football.
Sans communication, il n’y a pas de jeu, de création de phases collectives. Il faut donc écouter le coach, le guide, ses coéquipiers et adversaires, le ballon, puis être en capacité de s’exprimer lorsque cela est nécessaire.
Il m’a fallu un peu de temps pour m’imprégner des caractéristiques de ce sport, et maintenant que je les maitrise, je dirais que je préfère le cécifoot au football pour ce qu’il génère, c’est-à-dire plus de solidarité, d’entraide, de tolérance, de respect, et cela s’en ressent sur le collectif.
Vous insistez sur le rôle primordial de la communication dans le cécifoot. Est-il possible de transposer cette maîtrise de la communication dans votre vie quotidienne ?
Oui, bien sûr, lorsque je me déplace dans la rue, dans les transports et que j’ai besoin d’un renseignement, je n’ai aucune difficulté à demander de l’aide à un inconnu. Cela s’explique parce que sur le terrain je suis tellement habitué à parler que je n’ai pas la crainte ou la peur de communiquer.
En outre, au-delà de la communication, le cécifoot demande une capacité de concentration, une faculté d’analyse et une prise de décision extrêmement rapides et j’essaie de transposer ce que je fais au cécifoot dans ma vie quotidienne. Par exemple dans la rue ou lorsqu’il y a énormément de bruit autour de moi, je me concentre, comme sur le terrain, afin de me focaliser sur les seules informations pertinentes.
Vous intervenez fréquemment dans écoles et entreprises, au-delà de la découverte du sport, quel est le message que vous souhaitez faire passer ?
J’interviens régulièrement dans des écoles, centres de loisirs et entreprises, pour faire découvrir le cécifoot, mais également pour faire évoluer les mentalités, changer le regard de la société sur le handicap visuel, dire aux gens que le handicap n’est pas un frein et que la vie ne s’arrête pas malgré le handicap.
De nombreuses personnes associent handicap à difficulté, et pour moi, lors de ces initiations, l’objectif est de montrer tout ce qu’il est possible de réaliser malgré un handicap.
Il y a également une mise en situation lors de ces interventions, les participants pratiquent avec le bandeau sur les yeux afin qu’ils comprennent que si la pratique est complexe lors des premières minutes, très rapidement l’humain développe des réflexes, que les autres sens se mettent en éveil, ce qui permet de mieux les exploiter qu’au quotidien.
Rapidement, les gens comprennent qu’il faut communiquer, faire confiance aux autres mais également se faire confiance, que c’est un travail d’équipe.
Au terme des interventions, les gens me disent très souvent que si les débuts ont été complexes, très rapidement ils se sont pris au jeu et que cela leur permet d’avoir un regard différent sur le quotidien des personnes non ou mal voyantes, et qu’ils sont impressionnés par ce que nous réalisons.