[Livre Performance Allyteams] Interview Bertand Pesquié - Cercle Sportif de l’Institution Nationale des Invalides

28 février | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Bertand Pesquié - Cercle Sportif de l’Institution Nationale des Invalides | Allyteams

Le Cercle Sportif de l’Institution Nationale des Invalides (CSINI) a pour mission de reconstruire et réinsérer par le sport des personnes en situation de handicap, qu’elles soient militaires ou civiles. Entretien avec le Commandant Pesquié, directeur du CSINI.

Comment est né le Cercle Sportif de l’Institution Nationale des Invalides (CSINI) ?

Il y avait beaucoup de militaires blessés en France dans les années 1950 parce que nous sortions de la Seconde Guerre mondiale, et que l’armée française était également engagée en Indochine et en Algérie. Ces blessés, rapatriés de ces théâtres d’opérations, arrivaient pour certains à l’institution nationale des Invalides, qui abrite un hôpital militaire. Le médecin de l’époque était convaincu des bienfaits du sport sur la santé des valides et souhaitait développer cette pratique avec les militaires blessés. Il a donc demandé l’affectation d’un militaire au sport pour organiser des exercices sportifs à but thérapeutique. Cela a tellement bien fonctionné que, quelques années plus tard, dans les années 1960, ce même médecin qui dirigeait l’institution nationale des Invalides décida de la création du Cercle Sportif de l’Institution Nationale des Invalides (CSINI).

Le CSINI est une association de loi 1901 mais reconnue, soutenue et labélisée par le ministère des Armées, d’où notre présence aux Invalides à titre gracieux et l’affectation d’un certain nombre d’agents de l’État, dont moi, rémunérés par le ministère alors que nous travaillons au profit de cette association.

Quelles sont les missions du CSINI ?

Les missions du Cercle Sportif de l’Institution Nationale des Invalides sont la reconstruction et la réinsertion par le sport au profit des militaires blessés d’abord, et ensuite au sens large, au profit de toutes personnes en situation de handicap. La plupart de nos adhérents n’ont pas un handicap inné, mais acquis. Il y a donc la vie d’avant et la vie d’après. C’est pour cette raison que nous parlons de reconstruction. Si demain, vous perdez une jambe à la suite d’un accident de scooter, vous avez tout à refaire. Réapprendre à marcher, réapprendre à vivre avec une jambe en moins, etc. C’est par le prisme du sport que nous aidons les gens à se reconstruire.

Combien de sportifs accompagnez-vous ?

Sur une année classique, c’est environ 400 adhérents, dont 80 à 100 militaires. On compte néanmoins beaucoup d’anciens militaires chez les civils. Le CSINI est l’un des rares clubs exclusivement handisportif à Paris. Au total, nous comptons plus de 140 médailles paralympiques au palmarès du club depuis ses débuts.

Quels sont les points communs que vous identifiez entre le monde sportif et le monde militaire ?

Le militaire sans le sport, ce n’est plus le militaire, même si, actuellement, on demande à l’armée française des compétences dans des domaines plus variés qu’auparavant. Lorsque je me suis engagé, je me souviens que la journée commençait systématiquement par une séance de sport. Maintenant, il me semble que cela est un peu moins vrai mais l’entraînement physique reste au cœur des valeurs des militaires. Le premier devoir du soldat est de se préparer mentalement et physiquement à l’accomplissement de sa mission. Se préparer mentalement, c’est de l’aguerrissement moral. Comment résister au mauvais temps ? Comment résister à l’adversité ? Il y a des clés pour développer cela. S’agissant de la préparation physique, elle passe nécessairement par le sport.

À l’inverse, quelles différences voyez-vous entre le domaine sportif et le domaine militaire ?

Le sport individuel n’a pas forcément sa place dans l’armée. Nous pouvons en pratiquer mais ce ne sont pas les sports qui vont être privilégiés. Les sports individuels qui vont être majoritairement pratiqués vont être la course à pied, la natation, la musculation, etc.

Nous privilégions le fait de faire du sport ensemble, et non l’un contre l’autre. Même si ce sont des sports individuels, on les pratique pour avoir le goût de l’effort collectif. Nous n’allons pas nous placer dans la recherche de la performance pure, mais plutôt dans « l’être et durer ». Un effort moins violent mais qui va durer longtemps. L’une des épreuves mythiques de l’Armée de Terre est la course de 8 km avec un sac à dos de 15 kg, en moins d’une heure. Tout soldat doit être capable de réaliser cet effort.

La performance militaire et la performance sportive auraient donc un sens différent ?

Le sportif de haut niveau va devoir être au rendez-vous le jour J. Le militaire doit être capable de réaliser un effort, quelles que soient les conditions (manque de sommeil, froid, pluie etc.). C’est l’« être et durer », et ceci dans un esprit de rusticité. De plus, il y a des ennemis en face qui souhaitent nous éliminer, mais la performance doit rester la même. Ce sont les principales différences, mais le sport reste au cœur de l’activité du militaire.

Si dans le sport, on a tendance à se comparer aux autres en premier lieu, dans le secteur militaire, on a l’impression que le combat est plutôt contre soi-même ?

Oui, nous n’allons pas nous battre contre les autres. Au contraire, on va s’entraider pour toujours aller plus loin parce que si l’un des membres de l’équipe n’est plus là, il va manquer. Par exemple, lorsque nous réalisons un footing, nous nous adaptons toujours au rythme du plus lent. Aucun intérêt d’arriver à 99 si le dernier met une heure de plus pour rallier l’arrivée. Même s’il arrive de faire des séances de groupe ou de fractionné pour faire progresser les meilleurs, quand il s’agit d’être dans un entraînement sportif qui va avoir un but d’accomplissement de la mission, nous nous mettons au niveau du plus lent pour le faire progresser et ne pas le laisser derrière.

Que retenez-vous de l’état d’esprit de vos sportifs ?

Lorsqu’on ne connait pas le monde du handicap et du handisport, on a tendance à penser que les sportifs handisport sont différents, plus courageux, etc. En réalité, je pense que ce sont les mêmes personnes que celles valides. Il y a tout autant de gens très bien, tout autant de pénibles. Je pense qu’aujourd’hui, il n’y a plus de différence entre un sportif de haut niveau valide et un sportif de haut niveau handisport, les exigences du haut niveau sont identiques.

Les sportifs handisport doivent cependant faire face au regard des autres. En ce sens, il faut peut-être une force mentale supplémentaire. Néanmoins, et pour être parfaitement honnête, certains n’auraient jamais envisagé une carrière de sportif de haut niveau s’ils n’étaient pas devenus handicapés.

Comment a évolué le haut niveau handisport ?

Dans les années 60, il suffisait peut-être de savoir tenir correctement une épée pour arriver au haut niveau. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Aujourd’hui, pour atteindre le haut niveau, il y a de la préparation physique, de la préparation mentale et un investissement personnel très important. Très peu de personnes parviennent au haut niveau, c’est-àdire au niveau européen ou mondial.

Proposez-vous un accompagnement psychologique aux sportifs ?

Il faut vraiment faire la différence entre ce que nous mettons en place, au quotidien, pour les 99% de nos adhérents, et les 1% d’athlètes de haut niveau. Pour ces derniers, nous mettons tout ce que nous jugeons nécessaire, en accord avec les fédérations de rattachement et les athlètes concernés. Pour ces athlètes, on organisons des entrainements techniques, prenons en charge de la préparation psychologique et mentale ainsi que de la préparation physique, etc. Pour les autres adhérents, nous sommes un club de sport comme un autre et, si nous l’estimons nécessaire, nous les orientons vers d’autres professionnels et spécialistes.

Quelles similitudes voyez-vous entre les sportifs qui parviennent à haut niveau ?

La base, c’est la volonté individuelle, une envie de s’y mettre, vraiment. Les premiers résultats permettent de savoir rapidement un sportif a le potentiel pour aller à très haut niveau ou pas. Il y a également un peu de chance au départ, car je crois qu’il faut trouver son sport, celui pour lequel on est fait. Le sportif qui pratique le football ne saura peut-être jamais qu’il était fait pour le rugby. Ensuite, il y a une appétence personnelle, il faut aimer ce que l’on fait pour s’y mettre vraiment, trouver le bon club, avec les infrastructures adaptées. Le reste, c’est du travail et de la volonté personnelle encore une fois.

Quels sont les projets du CSINI ?

Le CSINI a participé à tous les Jeux olympiques et paralympiques depuis sa création et il serait très malheureux de ne pas avoir d’athlète aux JO de Paris 2024. En termes de haut niveau, l’objectif est donc de qualifier au moins un de nos athlètes et ainsi représenter le CSINI, ce qui serait une vraie performance car les qualifications sont de plus en plus difficiles.

Ensuite, n’oublions pas que le cœur de notre métier reste la reconstruction par le sport au profit des personnes en situation de handicap, et non seulement le haut niveau.