[Livre Performance Allyteams] Interview Mehdy Mary - Entraîneur de basket-ball
Après avoir entraîné les espoirs de l’ASVEL puis du CSP Limoges, Mehdy a pris les commandes de l’équipe professionnel du club historique limougeaud de 2019 à 2021.
Mehdy, vous avez mis un terme à votre carrière de joueur professionnel à 26 ans pour devenir entraîneur. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de ce choix ?
C’est une réflexion que je n’ai finalement pas eue. J’ai commencé à entraîner tout en continuant à jouer. Cette transition s’est donc faite naturellement. J’ai obtenu mon Brevet d’Etat 2 à l’époque en étant major de promotion, j’ai eu des sollicitations tout de suite après à Roanne et à Fribourg pour entraîner. C’est donc une passion, celle d’entraîner, qui en a poussé une autre, celle de jouer. Je considère que je n’ai pas pris la décision d’arrêter de jouer mais que j’ai pris celle de commencer à entraîner.
Jusqu’en 2018, vous avez toujours souhaité travailler avec de jeunes joueurs en occupant notamment les postes de Responsable de l’Académie Fribourg Olympic et Coach des Espoirs de l’ASVEL puis du CSP Limoges. Pourquoi accordez-vous autant d’importance à la formation ?
C’est une volonté de ma part de bien maîtriser une étape avant de passer à la suivante. Je souhaitais donc bien maîtriser les fondamentaux du jeu qu’ils soient individuels ou collectifs, mais également l’aspect construction des jeunes joueurs tant sur le plan physique que psychologique, c’est-à-dire les aider à se construire un égo, une confiance et une estime d’eux-mêmes.
À partir de quand avez-vous senti que vous étiez prêt à passer à l’étape supérieure ?
En arrivant à l’ASVEL j’ai senti que les compétences acquises pendant 7 ans en Suisse étaient peut-être supérieures à ce que j’avais auto-évalué. Lorsque j’ai vu les matchs de Jeep Elite et les entraînements de l’intérieur, j’ai remarqué que j’avais plus de compétences que ce que je pensais. J’avais la sensation de comprendre ce qui se passait, d’avoir des idées sur ce qui pourrait se faire en termes de jeu et de management. Ce sentiment a été confirmé lors de ma dernière saison à Limoges en tant que coach des Espoirs.
La confirmation de ce ressenti est également venue lors de mon passage en NBA, en 2018, dans le club des Utah Jazz. Je voyais que je comprenais parfaitement ce qu’était le top niveau et j’estimais avoir le recul suffisant pour me lancer.
Comment définiriez-vous la performance ?
La performance c’est de réussir à ce que toutes les qualités des joueurs soient utilisées, maximisées, sans prendre en considération leur limite, mais en se focalisant uniquement que ce qu’ils savent faire de mieux en les valorisant et en les responsabilisant sur ce qu’ils font de très bien.
Il faut donc, pour arriver à la performance, repérer les compétences des individus et les exploiter au maximum, sans prendre en considération leur limite.
Vous avez été invité en 2018 par les Utah Jazz lors de leur camp de présaison. Que retenez-vous de cette expérience NBA ?
Le premier terme qui ressort du compte-rendu que j’ai rédigé au terme de ce camp est « studieux ». C’était incroyablement studieux, on se serait cru dans une équipe de cadets et j’ai été extrêmement surpris. Les joueurs étaient tous totalement à l’écoute, faisaient exactement ce qui était demandé et étaient tous pleinement investis, on sentait une motivation intrinsèque et une implication totale des joueurs.
Studieux est une finalité, je me suis donc demandé ce qui est mis en place pour atteindre cette finalité.
Justement, qu’est-ce qui était mis en place pour atteindre cette finalité ?
J’ai senti que dans les critères de recrutement il y avait une attention toute particulière portée à la personnalité des joueurs, à la motivation intrinsèque forte, au professionnalisme, c’est-à-dire à la raison pour laquelle les joueurs sont là. Chaque joueur savait la raison pour laquelle il était là, connaissait son rôle et était focalisé sur celui-ci.
J’ai également senti une attention portée au bien-être des individus à l’intérieur du groupe. J’insiste sur le bien-être car il ne s’agit pas de la dimension sportive.
Le troisième point est une individualisation dans le management J'ai constaté que Quin Snyder, le coach, avait une manière différente de s’exprimer en fonction du joueur avec lequel il échangeait. Il n’échangeait pas de la même manière avec Rudy Gobert qu’avec Joe Ingles, et cela se percevait.
Enfin, j’ai senti une exigence forte pour que les objectifs soient atteints.
Considérez-vous que la notion de performance est différente en NBA que dans le basket européen ?
En NBA il y a plus de temps, la valeur d’un match est moins importante car il y en a beaucoup durant une saison et ils sont très proches les uns des autres. Il n’y a pas de montées et de descentes, ce qui permet plus facilement de s’inscrire dans un projet à moyen terme.
Il y a donc moins le sentiment d’urgence qu’en Europe. De plus, les contrats des joueurs sont plus longs, ce qui permet de remédier aux éventuelles difficultés avec le staff et les joueurs en place alors qu’en Europe on va avoir tendance à changer le staff ou les joueurs pour remédier aux difficultés.
D’ailleurs, Ettore Messina disait qu’il avait souhaité entraîner en NBA pour cette raison. Il disait qu’en Europe, qui que tu sois, la règle des trois matchs s’applique, c’est-à-dire que si tu perds trois matchs de suite tu es remis en cause, ce qui n’est pas le cas en NBA.
Y a-t-il des pratiques découvertes en NBA que vous souhaitez appliquer dans vos futures équipes ?
Oui énormément, notamment dans le management. Je suis initialement quelqu’un de bienveillant donc cela m’a encouragé à développer encore plus cet aspect et, en parallèle, à augmenter le niveau de vigilance car je considère que plus on prend soin des gens, plus on a le droit d’être exigeant envers eux. C’est vraiment un concept que j’ai totalement intégré durant mon passage aux Jazz et que j’applique.
Mon passage aux Jazz m’a également convaincu qu’on ne peut pas appliquer un management identique à des gens différents et que l’individualisation du management était très importante. Cela nécessite au préalable de réussir à déterminer et comprendre les personnalités de chacun, puis d’adapter sa communication une fois cet effort de compréhension réalisé.
Dans la manière de s’entraîner, j’ai beaucoup apprécié la partie cognitive, c’est-à-dire qu’on prend le temps d’expliquer, on répond aux questions, on essaie de solliciter l’intelligence collective du groupe, et une fois qu’on a expliqué ce qui devait être fait et les raisons pour lesquelles on le fait, on s’entraîne. Cet entraînement se déroule donc en trois ou quatre parties, une partie cognitive avec un échange, une mise en place tactique si nécessaire, un échauffement puis une mise en pratique de ce qui a été expliqué.
Comment concevez-vous la notion d’équipe dans un monde dans lequel les égos sont parfois forts ?
Tout le monde veut une part du gâteau, cela est humain. Le rôle de l’entraîneur va être de trouver une place pour chaque joueur, donc de recruter des joueurs qui répondent à une compétence dont on a besoin. Si l’équipe n’a pas besoin de cette compétence, aussi fort que soit le joueur, il ne faut pas le recruter. Une fois que le joueur arrive dans l’effectif, si l’entraîneur lui a expliqué préalablement quelles étaient les attentes à son égard, qu’elles sont en relation avec ses qualités, et que le joueur est en accord sur le rôle qui lui est confié, alors tout est clair.
Les tensions viennent lorsqu’un joueur ne sait pas ce que son entraîneur attend de lui. Pour cela, je fais en début de saison un entretien avec chaque joueur. Au terme de ces entretiens individuels, le rôle de chaque joueur est affiché dans le vestiaire pour que tout le monde ait connaissance du rôle de chacun. C’est un aspect qui est vraiment important.
L’autre aspect important est d’être juste. Les sportifs de haut niveau ne supportent pas que l’on soit fort avec les faibles et faibles avec les forts, c’est-à-dire que les stars fassent ce qu’elles veulent et que les joueurs de bout de banc soient les boucs émissaires. Il faut donc essayer d’être juste. Qui que tu sois, il y a un cadre de travail et si tu ne le respectes pas tu es sanctionné.
Un cadre de travail clair avec une intransigeance très forte de ma part et un rôle défini pour chaque joueur, en relation avec ses compétences, me semblent être primordial. À travers ces aspects-là, on impacte la cohésion opératoire et on sait qu’il y a un lien direct entre la cohésion opératoire et le succès, donc j’insiste sur cette cohésion.
Enfin, je terminerais par préciser que la détermination des rôles pour chaque joueur permet de les sécuriser individuellement. Dans les moments plus compliqués d’une saison, le joueur a simplement à relire la feuille pour se rassurer sur ce que son entraîneur attend de lui, cela permet également de le rassurer car ce rôle est en lien avec ses qualités. C’est important pour la confiance personnelle.
Quelles sont selon vous les qualités des plus grands entraîneurs ?
Au-delà des capacités relatives à la connaissance du basket, je dirais que les plus grands entraîneurs que j’ai côtoyés ont une grande capacité de remise en cause et d’observation afin de toujours apprendre et progresser. S’ajoute à cela une grande confiance en eux pour aller au bout de leurs convictions ainsi que pour l’aspect médical.
Pensez-vous que la performance en sport et en entreprise est identique ou diriez-vous que ce sont deux mondes différents ?
Je pense qu’il y a plusieurs réponses possibles à cette question car la réponse peut être propre à chacun. Je vais donc parler de ce que je connais, par rapport à ma propre expérience en entreprise et à celle dans le pentathlon.
La différence c’est que lors de mon passage en entreprise je travaillais pour l’entreprise, pour un but commun, alors que dans le sport de haut niveau je travaille pour moi, c’est ma propre performance. Même si la victoire reste collective, car c’est aussi celle du staff et de l’encadrement en général, la performance reste individuelle. Je m’entraîne pour améliorer ma propre performance, j’avais moins ce sentiment d’individualité en entreprise.
Le niveau de l’équipe de France de pentathlon est excellent : y a-t-il entre vous de la concurrence ?
En effet, nous sommes cinq athlètes pour un nombre de places restreint (2 ont été sélectionnés pour les JO de Tokyo de 2020). Il y a une concurrence à l’entraînement, entre nous, mais elle est saine, nous nous tirons constamment vers le haut. Je ne me compare jamais à mes camarades d’entraînement, car j’ai appris à me connaître. En revanche, je prends exemple sur les autres pour progresser.