[Livre Performance Allyteams] Interview Pauline Ferrand-Prevot - VTT
Pauline est une coureuse cycliste française polyvalente, qui performe en cyclisme sur route, cyclo-cross et VTT. En 2014, elle est devenu la première Française championne du monde sur route depuis Jeannie Longo en 1995.
Participation aux Jeux Olympiques 2012, 2016 et 2020.
Pauline, dans quelles disciplines concourez-vous ?
Jusqu’en 2018, je courais dans trois disciplines différentes, le cyclisme sur route, le cyclo-cross et le VTT cross-country.
En 2019, j’ai fait le choix de mettre en stand-by le cyclisme sur route pour me consacrer au cyclo-cross l’hiver et au VTT l’été car le VTT se professionnalise de plus en plus et il devient compliqué de gérer ces trois disciplines en même temps.
De plus, j’ai toujours rêvé de devenir championne olympique donc il fallait choisir entre la route et le VTT et j’ai choisi le VTT car c’est la discipline que j’affectionne le plus.
Comment s’organise votre saison entre cyclo-cross et VTT ?
La saison de VTT commence en février et se termine fin septembre. En octobre, il n’y a plus de course, j’ai un mois de trêve. Je reprends les entraînements en novembre pour la saison de cyclo-cross qui se déroule de décembre à janvier.
Comment sont fixés vos objectifs sportifs ?
Mes objectifs sont fixés par priorité. Il y a des compétitions tous les week-ends donc je ne peux pas être performante constamment. Pour ma part, je vise surtout les grands championnats (d’Europe et du monde) ainsi que les Jeux olympiques car ce sont des compétitions qui délivrent un titre et les titres restent à vie.
Une fois que l’objectif de la saison est fixé, nous mettons avec mon entraîneur un programme en place afin d’atteindre le pic de forme au moment de la compétition que j’ai pour objectif de remporter.
Comment est composé votre staff ?
Je dépens d’une équipe professionnelle allemande qui est une équipe de route, mais je ne fais plus de route et suis la seule dans l’équipe à faire du VTT.
J’ai voulu choisir mon staff, c'est-à-dire mon kinésithérapeute, mon mécanicien et mon entraîneur, et faire partie de l’équipe tout en ayant une réelle indépendance donc j’ai recruté mon staff et je le paie moi-même. C’est la contrepartie de ma volonté de vouloir choisir mon staff mais je considère que travailler avec des gens que l’on a choisis soi-même est un luxe.
Mon mécanicien, par exemple, me suit sur toutes les compétitions. À mon domicile j’ai un vélo d’entraînement avec lequel je ne concoure jamais. C’est mon mécanicien qui garde mes vélos de course et c’est lui qui me les apporte lors des compétitions. J’ai une totale confiance en lui professionnellement et nous nous apprécions donc nous travaillons dans la bonne humeur, ce qui est, à mon sens, l’une des clés de la réussite.
Pour ce qui est de mon entraîneur, il vit en Afrique du Sud. Nous communiquons tous les jours à distance. Aujourd’hui, grâce à internet et à toutes les applications, il peut consulter mes performances à l’entraînement en temps réel et les analyser. C’est une personne importante pour moi car il me comprend psychologiquement, et étant une personne complexe, ce n’est pas donné à tout le monde.
Enfin, je travaille avec mon kinésithérapeute très régulièrement, nous planifions généralement deux séances par semaine.
Comment se compose une journée d’entraînement ?
Une journée classique est composée d’un entraînement de vélo le matin d’une durée de deux à trois heures. Je poursuis cet entraînement l’après-midi, cette fois-ci en salle, pour pratiquer de la gymnastique, de la musculation ou des exercices de récupération.
Comment définiriez-vous la performance ?
La performance dépend vraiment de chaque athlète et nous sommes tous différents.
Pour ma part, j’ai commencé le cyclisme à l’âge 5 ans et suis passée professionnelle à l’âge de 18 ans donc cela fait plus de 10 ans que je suis professionnelle et j’ai acquis de l’expérience. Je ne vois donc plus la performance comme à mes débuts.
À mes débuts, je considérais la performance comme le simple fait de gagner des courses, et pour cela il fallait s’entraîner quitte, à ne plus avoir de plaisir, voire d’envie.
Avec l’expérience, je me suis rendu compte que, dans le sport de haut niveau, la performance se définissait avant tout par le plaisir et l’envie, et que sans ces deux éléments il n’était pas possible d’être performant sur le long terme.
À l’heure actuelle, je dirais que la performance est composée à 60% de mental et à 40% de physique. La partie mentale, se définissant notamment par le plaisir et l’envie, a donc vraiment un rôle majeur sur la performance.
Quelle pourrait être la plus belle performance de votre carrière ?
La plus belle performance de ma carrière pourrait être d’obtenir le seul titre qui me manque, c'est-à-àdire le titre olympique, c’est celui que je souhaite absolument obtenir. Cependant, je suis prudente en disant cela car l’annoncer revient forcément à se mettre une forme de pression. C’est donc le titre que je veux atteindre mais si je ne devais pas réussir à l’atteindre il faudrait que je l’accepte.
À ce jour, quelle est la plus grande contre-performance de votre carrière ?
Pour faire le parallèle avec la question précédente, je dirais mes performances aux Jeux olympiques.
J’ai participé trois fois aux Jeux olympiques, à Londres en 2012, j’étais très jeune car je venais d’avoir 18 ans donc j’ai pris cette compétition comme une découverte et n’ai pas de regret particulier.
En revanche, en 2016, à Rio, je me suis présentée à cette compétition en tant que favorite, étant championne du monde sortante, et je suis passée totalement à côté de ma course.
Ce fut un échec très dur à accepter parce que l’attente que j’avais de ces jeux était très forte et l’attente que les gens avaient de moi était d’autant plus forte. C’est donc une expérience que je n’ai pas bien vécue, au point d’avoir souhaité arrêter ma carrière.
En 2021 à Tokyo, une chute en début de course m’a empêché de jouer une médaille, et j’ai terminé 10ème.
Les Jeux olympiques restent donc, à ce jour, une compétition vraiment spéciale pour moi mais je n’abandonne pas mon souhait de titre olympique.
Avec vos titres de championne du monde de cyclisme sur route, de cyclo-cross et de VTT cross-country vous êtes la première cycliste de l’histoire à être championne du monde dans trois disciplines différentes. Comment expliquez-vous cette polyvalence ?
Je suis issue d’une famille de cyclistes, mes parents étaient cyclistes, mon père tenait un magasin de cycles donc j’ai baigné dans le contexte du cyclisme. J’ai commencé par le vélo de route et j’ai tout de suite été performante. Je me suis mise un peu plus tard au cyclo-cross, puis au VTT, et tout me réussissait.
J’aimais pratiquer les trois disciplines car j’avais peur de me lasser à force de faire toujours la même chose, puis également de m’ennuyer. Jeune, j’ai donc enchaîné les déplacements et les compétitions tous les week-ends et c’est ce qui m’a construite.
Lorsque je suis passée professionnelle, on m’a demandé de choisir entre les disciplines, choix que je ne souhaitais pas réaliser. Je me suis fait critiquer et ai entendu que je ne pourrai jamais tout faire, puis finalement entre 2014 et 2015 j’ai réussi à devenir championne du monde dans les trois disciplines.
Ce qui est drôle c’est que ce n’était pas l’objectif initial mais une fois que ces trois titres étaient acquis, j’ai ressenti une vraie fierté car au-delà de ce que représente un titre de championne du monde, j’ai ressenti la fierté d’avoir été au bout de mon idée, c’est-à-dire concourir dans les trois disciplines et de m’écouter moi et pas les autres.
Vous reconnaissez cependant qu’aujourd’hui le choix entre ces trois disciplines est devenu nécessaire.
Oui, avant les formats de course étaient plus longs, beaucoup moins techniques, alors que maintenant les courses demandent beaucoup plus d’engagement technique, des sauts, il est donc nécessaire de passer beaucoup plus de temps à travailler techniquement que par le passé.
A contrario, le cyclisme sur route ne demande pas la même technique. C’est le fait de devoir axer les entraînements sur la technique depuis quelques années qui m’a contrainte à faire un choix.
Une course de VTT va durer une heure trente alors qu’une course sur route entre trois heures trente et cinq heures, le format est totalement différent. Notre sport a changé, que ce soit le VTT ou la route et chaque discipline prend des directions différentes, il ne peut donc plus y avoir de compatibilité entre ces disciplines pour un athlète qui souhaite viser des titres dans chacune d’entre elles.
Avec l’échec des Jeux olympiques en 2016, vous avez songé à arrêter votre carrière. Qu’est-ce qui a fait que vous avez finalement continué ?
J’ai arrêté le sport plusieurs mois, je n’étais pas bien, je ne voulais plus entendre parler de vélo et de sport en général, j’avais la sensation que ma carrière était terminée et que je ne pourrais plus jamais refaire de Jeux olympiques car je n’avais pas l’énergie de me relancer sur un cycle de 4 ans. J’étais dégoutée de mon sport, triste de la réaction de certaines personnes qui, après mon échec de Rio, ont eu des réactions inappropriées.
Cependant, après 4 mois sans sport, j’ai voulu reprendre une activité car le sport me manquait. J’ai décidé de reprendre le sport mais pas le VTT comme j’avais l’habitude d’en faire. J’ai pratiqué du sport automobile, de la descente VTT, de la marche, des activités qui m’ont changé de mon contexte habituel et qui m’ont permis de retrouver le goût du sport et de l’effort.
Bénéficiez-vous de l’aide d’un préparateur mental dans votre carrière ?
Plus jeune, j’avais essayé de travailler avec un préparateur mental mais j’avais vite abandonné ce travail car cela ne me convenait pas.
Après les Jeux de Rio et la dépression que j’ai vécue pendant plusieurs mois, j’ai été accompagnée par un psychothérapeute qui m’a été conseillé par le médecin de la Fédération de VTT. J’ai découvert une personne géniale et l’impression, pour la première fois de ma vie, de ne pas être jugée. J’ai travaillé avec cette personne pendant plusieurs mois, cela m’a fait énormément de bien, j’ai appris à relativiser sur mon sport et sur la vie en général.
Je suis une personne indépendante et ne souhaitais cependant pas avoir la sensation de dépendre de quelqu’un, donc dès le terme de la thérapie, le psychothérapeute m’a clairement dit que je n’avais plus besoin de lui et que je pouvais reprendre le cours de ma vie.
Malgré tous vos titres, vous n’avez pas été épargnée par les blessures durant votre carrière, comment gérez-vous ces moments ?
À mon sens, c’est la force mentale qui permet de se relever. D’où l’idée que le mental joue un rôle majeur dans la performance.
Dans la vie, et je pense que cela est vrai, quelle que soit l’activité professionnelle que l’on pratique, il faut avoir des buts et objectifs. Lorsqu’on se blesse, les buts à court terme sont remis en cause, cependant, il reste les objectifs à long terme auxquels il est possible de se raccrocher. Pour ma part, c’est ce qui m’a aidée.
De plus, avec l’expérience et la maturité j’ai également appris à relativiser, à découvrir et à aimer autre chose. J’ai découvert une vie différente, je me suis plus ouverte aux autres et ai réussi à tirer des points positifs de ces périodes qui sont des freins dans la carrière d’un sportif.