[Livre Performance Allyteams] Interview Jérôme Fernandez - Handball
Jérôme, ancien handballeur professionnel, est l’un des internationaux français les plus titrés avec 9 médailles d’or dont 2 aux Jeux olympiques. Il est également le meilleur buteur de l’histoire de l’équipe de France avec 1463 buts marqués.
Participation aux Jeux Olympiques 2000, 2004, 2008 et 2012.
Médaille(s): 2 x or.
Jérôme, est-ce que toutes les saisons de handball se préparent de la même manière ?
À titre individuel, oui, toutes les saisons se préparent plus ou moins de la même manière. En tant que joueur, on engrange, saison après saison de l’expérience, que ce soit dans la connaissance du club dans lequel on évolue ou dans la connaissance de son propre physique. Je dirais qu’avec l’expérience on se prépare de mieux en mieux individuellement.
Je soulignerais tout de même que ces dernières saisons, avec le recours aux préparateurs physiques à plein temps par les clubs, chaque joueur, au regard de son poste, sa morphologie et ses qualités physiques se voit attribuer un programme spécifique pour pouvoir progresser dans son secteur. C’est un réel changement car dans le passé, tous les joueurs étaient soumis à la même préparation, ce qui n’était pas efficient car les caractéristiques physiques et les spécificités de chaque poste n’étaient pas prises en compte.
À titre collectif, tout dépend du club mais surtout de la culture du pays dans lequel on joue. Pour avoir joué dans trois pays différents, j’ai remarqué de réelles différences de méthode.
Alors qu’en France, les clubs accordent une place très importante à la préparation physique « sans ballon », les clubs espagnols mettent l’accent sur l’aspect « jeu collectif » dès le début de la saison. En Allemagne, il y a un équilibre entre la préparation physique « sans ballon » et l’aspect « jeu collectif ».
Comment, en tant que joueur, on gère une saison en club l’année des Jeux olympiques avec l’équipe nationale ?
Je pense que chaque joueur aborde la saison avec un surplus de motivation car tout joueur rêve de participer à un tel évènement et a pour ambition d’être présent au rendez-vous avec l’équipe de France.
Mais je pense que, quelles que soient les saisons, on essaie toujours de réaliser les meilleures performances possibles. À mon sens, il n’est pas envisageable pour un joueur de se gérer en vue d’une compétition avec l’équipe nationale car la concurrence est rude et ce n’est pas de cette manière qu’un athlète peut construire sa longévité au plus haut niveau. Il ne faut pas oublier que le meilleur moyen d’être sélectionné en équipe nationale est d’être performant avec son club. Il n’y a donc pas de gestion en tant que joueur, en revanche, il peut y avoir une gestion de la part de l’entraîneur et du staff.
Vous indiquez dans votre précédente réponse que chaque joueur essaie d’être le plus performant possible. Est-ce que, selon vous, la performance individuelle a un sens dans un sport collectif ?
L’indice de performance dans un sport collectif repose sur de multiples paramètres, plus nombreux que ceux présents dans un sport individuel.
Dans un sport individuel, je définirais la performance comme l’obtention du meilleur état de forme pour une compétition. Dans un sport collectif, l’indice de performance est paramétré aussi et surtout par rapport à ce que vous apportez au collectif en tant qu’individualité.
Un joueur qui est à 100% physiquement mais qui, lorsqu’il est sur le terrain n’est pas capable de performer individuellement et de performer pour l’équipe en se fondant dans le collectif, ne sera pas utilisé.
Il vaut mieux être moins fort physiquement mais être concentré sur sa tâche collective qu’être au sommet de sa forme physique et ne pas se fondre dans le projet collectif car, dans le second cas, le coach ne fera pas jouer ce joueur.
Il ne faut pas oublier que ce qui compte c’est l’équipe, et que c’est le collectif qui fait briller les individualités, et non l’inverse. Je me rendais compte de cet aspect quand j’étais joueur, mais j’en ai d’autant plus pris conscience lorsque j’étais entraîneur.
De plus, si sur une saison aucun joueur ne peut être performant individuellement à tous les matchs, il peut, en revanche, apporter le maximum collectivement à tous les matchs.
Vous avez été membre de l’équipe de France de 1997 à 2015, comment expliquez-vous que cette équipe a été aussi performante ?
Je dirais que notre génération, arrivée en équipe de France à la fin des années 1990, avait un gros potentiel et a eu beaucoup de temps pour construire son jeu, et plus globalement sa propre identité et son état d’esprit. Nous étions également entourés d’anciens qui avaient déjà gagné. Ils nous ont apporté tout leur vécu, ce qui nous a permis, lorsqu’ils ont arrêté, de prendre la suite de manière durable.
Entre 2008 et 2012, vous avez gagné deux titres olympiques, deux titres mondiaux, un titre européen : dans quel état d’esprit arriviez-vous lors des compétitions internationales ?
Notre équipe a pris conscience à partir de 2006 qu’elle avait un potentiel et un état d’esprit permettant de dominer son sport pendant plusieurs années.
Une fois ce constat réalisé, nous nous sommes donc fixé l’objectif de remporter un maximum de titres.
À chaque compétition, nous oubliions les précédentes victoires et notre seul objectif était de gagner.
Au fur et à mesure des compétitions, nous avons également pris conscience que nous n’avions plus le droit de perdre car tout autre résultat qu’une victoire aurait été perçu comme une contre-performance.
Nous nous sommes donc construit un état d’esprit différent car quand vous êtes outsider vous essayez d’être champion mais quand vous êtes champion vous essayez de le rester le plus longtemps possible, ce qui nécessite un autre état d’esprit.
Je dirais que le fait de gagner apporte une pression supplémentaire, mais que ces victoires permettent à l’équipe d’acquérir une confiance permettant de dominer la pression.
Vous avez été le capitaine de cette génération exceptionnelle. Est-ce plus facile d’être le capitaine d’une équipe qui gagne ?
Oui, sans hésitation ! Le capitaine d’une équipe qui gagne n’a que peu de travail. Il est le garant de l’équilibre du groupe. À ce titre, il doit veiller à ce que tous ses coéquipiers vivent bien ensemble, que le groupe soit soudé, et il doit mettre tous les joueurs dans les meilleures conditions individuelles et collectives.
Pour ma part, je dirais que mon rôle était surtout de faire en sorte que ceux qui nous rejoignaient et qui avaient peu d’expérience avec le groupe puissent se sentir rapidement à l’aise pour performer.
En votre qualité de capitaine, tenez-vous un discours particulier avant chaque compétition ?
Non, je n’avais pas besoin de tenir de discours car j’avais des anciens avec moi qui étaient des gagneurs (Thierry Omeyer, Didier Dinart, Bertrand Gille etc.), et ces joueurs à chaque fois qu’ils gagnaient un titre, ils avaient une seule obsession c’était de gagner celui d‘après, je n’avais donc pas besoin de motiver les troupes.
Je sentais l’état d’esprit de l’équipe dès le premier entraînement de la compétition, et je peux vous dire que pendant des années au regard de l’intensité mise aux entraînements, les nouveaux joueurs comprenaient vite le défi, soit ils se mettaient au même niveau d’intensité et de performance, soit ils ne reviendraient pas sur le stage ou la compétition suivante.
Je n’ai donc jamais eu de grand discours à faire, je dirais que j’étais plus dans l’observation.
Qu’est-ce qui est le plus difficile, arriver au sommet de son sport ou se maintenir au sommet durant des années ?
Le plus difficile, sans aucun doute, c’est de se maintenir au sommet et de durer. C’est pour cela que des champions comme Roger Federer ou Teddy Riner par exemple, sont admirés. En tant que sportif, vous pouvez réaliser une voire deux performances dans une carrière, en revanche être capable de gagner avec de la récurrence et dominer votre sport pendant des années, cela requiert une force mentale hors du commun car cela signifie que vous ne vous rassasiez jamais de ce que vous réussissez.
Est-ce que la culture de la gagne se transmet, et si oui comment cela se matérialise ?
Oui, la culture de la gagne se transmet. Je suis d’ailleurs bien placé pour en parler car, à titre personnel, je n’avais pas autant cette culture de la gagne que certains de mes coéquipiers comme Thierry (Omeyer), Didier (Dinart) ou Bertrand (Gille). Avant de les côtoyer, je faisais du handball pour être avec les copains, bien sûr je voulais gagner mais si je gagnais de temps en temps, cela me suffisait. Je pense que sur ce point Daniel (Narcisse) et moi nous nous ressemblions, alors que chez Thierry, Didier ou Bertrand, la culture de la gagne c’était maladif, poussée à l’extrême. Nous les avons suivis et nous sommes devenus comme eux au fil des compétitions et des victoires.
Ils nous ont totalement imprégnés de cette culture, ils nous l’ont transmise au quotidien, pendant les entraînements, mais également pendant les moments de vie en dehors du terrain. Pendant les compétitions, durant les temps de repos, nous jouions tous ensemble à différents jeux de société, aux cartes, et ce sont des personnes qui n’acceptent pas de perdre, ils avaient besoin de tout gagner, tout le temps, même le jeu le plus anodin.
À force de côtoyer ce type de personnalité, cette envie permanente de gagner rejaillit sur les joueurs individuellement, mais également sur le collectif, et vous transcende.
Comment en tant que capitaine vous comportiez-vous avec un jeune joueur qui intégrait votre groupe ?
Dans un premier temps, j’étais vigilant à la manière dont le joueur tentait de s’intégrer dans le groupe. Cela passait par observer son état d’esprit à l’entrainement, sa manière de se fondre dans le collectif. Si je percevais des difficultés, je n’hésitais pas me rapprocher de lui pour échanger, lui expliquer ce qu’on attendait de lui, comment il devait se comporter afin de s’intégrer au plus vite. Mais je dirais que l’intégration de nouveaux joueurs s’est faite de manière assez naturelle, je n’ai pas d’anecdotes particulières car je suis très rarement intervenu.
À écouter vos propos, nous avons l’impression que votre groupe s’autogérait. Quel était le rôle de votre entraîneur ?
Oui, Claude (Onesta) nous laissait beaucoup en autogestion, il intervenait rarement sur la partie technique. Il se concentrait sur la construction de l’équipe ; il essayait de bâtir une équipe dans laquelle les personnalités s’entendent bien et soient complémentaires et dans laquelle chaque joueur ait bien compris son rôle dès le début de la compétition.
Une fois ce travail réalisé, il coachait avec pour ambition de gagner chaque match. Dans la vie de tous les jours, il nous laissait beaucoup de liberté, il y avait une relation de confiance entre les joueurs et lui, et moi j’étais l’intermédiaire.
Par exemple, lorsque pendant certaines compétitions les gars me disaient qu’ils avaient envie de sortir de l’hôtel, pour manger à l’extérieur par exemple, je faisais le relais, j’allais voir le coach pour lui demander l’autorisation. Je n’ai jamais eu de refus mais toujours la même réponse du staff : on accepte de vous laisser de la liberté, mais derrière on attend de vous que vous soyez à la hauteur. Cela obligeait le groupe à se responsabiliser et à assumer lors du prochain match.
La notion de groupe ressort de vos propos à plusieurs reprises ; est-ce nécessaire, dans un sport collectif, d’avoir des liens d’amitié avec ses coéquipiers pour gagner ?
Il n’est pas nécessaire d’être amis pour gagner mais c’est mieux si on l’est. C’est plus facile de gagner quand on est copains, quand on se connait bien et que l’on s’apprécie humainement.
Il faut cependant avoir à l’esprit qu’il est plus facile de créer des liens d’amitié dans une équipe lorsqu’elle gagne car il y a forcément moins de tension.
En janvier 2012, vous vous classez 11ème du championnat d’Europe alors que vous aviez gagné toutes les compétitions depuis 4 ans, comment s’explique cette contreperformance ?
Cette compétition a été très compliquée car le contexte était particulier.
Nous sortions de 4 compétitions gagnées et nous étions déjà qualifiés pour les Jeux olympiques de Londres quelques mois plus tard, nous étions alors peut-être moins motivés que d’autres équipes. Pour ma part, cette compétition restera un souvenir douloureux car je n’ai pas pu tenir mon rôle de capitaine comme il aurait fallu. Ma maman était malade et en fin de vie, je suis passé à côté de ma compétition en tant que joueur car je n’ai pas réalisé les performances habituelles et j’étais moins concentré sur mon rôle de capitaine. Nicolas (Karabatic) avait perdu son papa quelques mois auparavant, c’était également une période compliquée pour lui, nous n’étions pas dans les meilleures conditions psychologiques, et cela s’est ressenti, l’état d’esprit de l’équipe n’était pas celui des précédentes compétitions.
Cet échec vous a-t-il servi pour devenir champion olympique quelques mois plus tard à Londres ?
Avec le recul je pense que cet échec nous a remotivés.
La presse nous a mis beaucoup de pression en disant c’était la fin de notre règne et que notre équipe était vieillissante et sans ressource.
Nous, nous étions certains de notre force, nous avons débuté la préparation des Jeux olympiques en étant très revanchards et nous avons retrouvé notre état d’esprit habituel. Il n’en fallait pas moins pour décrocher l’or olympique.