[Livre Performance Allyteams] Interview Christelle Daunay - Athlétisme

18 mars | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Christelle Daunay - Athlétisme | Allyteams

Athlète de haut niveau spécialiste des courses de fond, Christelle a remporté en 2014 l’épreuve du marathon au championnat d’Europe à Zurich. Elle détient par ailleurs le record de France de la discipline en 2h24min22s établi lors du marathon de Paris 2010.

Participation aux Jeux Olympiques 2008 et 2016.

Christelle, comment étaient fixés vos objectifs sportifs ?

J’ai toujours vu ma carrière à long, moyen et court terme.

À long terme, c’est-à-dire quatre ans, l’objectif était les Jeux olympiques.

À court terme, il s’agit de la saison hivernale et estivale, et je me fixais des objectifs en fonction des grands championnats (championnats du monde, d’Europe) ou des grands marathons que je souhaitais courir.

Il faut savoir qu’il est conseillé de ne pas courir plus de deux marathons par an car c’est un effort qui nécessite une grande préparation puis une récupération importante. Courir deux marathons par an, à haute performance, constitue donc une belle saison.

Mettiez-vous en place une préparation spécifique pour le marathon ?

Je partais de la date du marathon et mettait en place un rétroplanning.

Les quinze derniers jours étaient consacrés à la récupération de toute cette préparation, c’est ce qu’on appelle l’affutage. C’est la période pendant laquelle il est nécessaire de diminuer l’entraînement et l’intensité pour arriver avec de la fraicheur physique et mentale le jour du marathon.

Avant cela, j’avais jusqu’à dix à douze semaines de préparation, spécifique au marathon. J’intégrais, durant cette période, plusieurs compétitions (un semi marathon et un 10 kilomètres). Ces compétitions permettent de jauger l’état de forme et de couper avec la routine de l’entraînement.

Pendant ces dix à douze semaines d’entraînement, j’augmentais progressivement le kilométrage et l’intensité, le risque étant de démarrer trop intensément une préparation et de se blesser ou de se surentraîner, ce qui peut avoir des conséquences néfastes.

Comment gériez-vous les blessures et méformes lors d’une préparation ?

Une méforme n’est pas une difficulté dès lors qu’elle est loin de l’objectif, car il reste du temps pour atteindre son meilleur niveau. Souvent, la dernière compétition se déroule un mois avant le marathon donc, si performance moyenne il y a, on fait confiance à l’entraîneur et à son plan d’entraînement pour atteindre son pic de forme le jour du marathon.

S’agissant des blessures, il y a la petite blessure qui entraîne un ou deux jours d’arrêt, celle-ci ne pose pas de difficulté car on repart facilement après cet arrêt. Généralement l’entraîneur adapte la reprise, puis la préparation reprend conformément à ce qui était planifié.

En revanche, il y a des blessures plus longues qui nécessitent au minimum une semaine d’arrêt. Personnellement je n’en ai pas connu car j’ai su gérer les petites blessures et ne pas les laisser s’installer.

Enfin, il y a aussi la blessure qui contraint à déclarer forfait pour la compétition. À titre d’exemple, quinze jours avant les Jeux olympiques de Londres en 2012, j’ai été victime d’une fracture de fatigue qui m’a contrainte à déclarer forfait.

Est-ce que vous prépariez vos marathons seule ou en groupe ?

Les deux possibilités sont envisageables, l’effet de groupe permet d’éviter l’isolement ainsi que la lassitude des kilomètres et des heures entraînement. L’effet de groupe peut donc être positif. Cela nécessite cependant de trouver un groupe qui correspond à son niveau de performance, afin que chaque athlète soit tiré vers le haut.

Il faut également veiller à ce que l’effet de groupe n’ait pas l’effet inverse, c’est-à-dire instaure une compétition à chaque entraînement et que cela soit néfaste pour la future performance.

Je me suis malheureusement entraînée seule car j’étais isolée dans le secteur féminin. En tant que française de ma génération, j’étais la seule marathonienne à ce niveau de performance. J’aurais pu trouver des athlètes masculins, mais étant professionnelle je préférais m’entraîner la journée alors que les athlètes masculins de mon niveau sont, en général, des athlètes qui travaillent et qui s’entraînent le soir. J’étais donc seule 90% du temps.

Je reconnais que la solitude pèse sur le long terme, au bout de 3-4 ans, s’entraîner seule peut être lassant, surtout que mon coach travaillait donc j‘étais vraiment seule, mais je m’y suis habituée.

Pensez-vous que si vous aviez côtoyé des marathoniennes de votre niveau en équipe de France cela aurait pu vous permettre d’améliorer votre niveau de performance ?

C’est une bonne question ! Je pense que c’est bien de s’entraîner seule car l’athlète est seul pendant le marathon, il faut donc vivre à l’entraînement les moments de difficulté, de souffrance et de solitude qu’on retrouvera pendant la compétition. Il faut que le corps et le cerveau soient prêts à retrouver ces moments. Cependant, oui, j’aurais aimé avoir un groupe sur des entraînements ponctuels, pour l’émulation et le mental. Il y a non seulement l’aspect entraînement, c’est-à-dire performance pure, mais également les à-côtés, c’est-à-dire les discussions hors entraînement, le fait de partager plus qu’un entraînement, puiser dans le groupe de la bonne humeur, tous les petits éléments qui peuvent être positifs et que seul l’effet de groupe peut apporter. Ce sont ces détails qui permettent également de faire la différence le jour de la compétition.

Comment définiriez-vous la performance ?

Sur marathon, la performance est un chronomètre avant tout, un chiffre avec le dépassement de soi qui va avec, la recherche de ses limites pour toujours faire baisser le chronomètre.

À mon sens, la performance en athlétisme est un chiffre : des mètres, des centimètres, des minutes, des secondes, etc.

Lors de votre première participation aux Jeux olympiques à Pékin en 2008, vous terminez 20ème : quel objectif vous étiez-vous fixé lors de cette course ?

En 2008, j’étais jeune dans le marathon, c’était seulement le troisième que je courais.

Je m’étais fixé comme objectif d’être demi-finaliste, c’est-à-dire me classer parmi les seize meilleures marathoniennes.

J’ai terminé 20ème, ce qui constitue une performance correcte par rapport à l’objectif fixé, ce n’est pas une contreperformance, mais j’aurais aimé réaliser mon objectif, cela reste donc une petite déception.

En 2012, alors que vous êtes dans la forme de votre carrière avec de grandes ambitions pour les JO de Londres, vous vous blessez quelques jours avant. Que ressentez-vous à ce moment-là ?

J’ai pris conscience de ma blessure rapidement. C’était un dimanche après-midi, quinze jours avant les Jeux olympiques, après une sortie longue, je venais de me reposer et au moment où je me suis levée j’ai ressenti une violente douleur m’empêchant de poser le pied par terre.

J’ai compris que c’était très grave et le lendemain le staff médical m’a confirmé à la suite des examens médicaux que c’était une fracture de fatigue au niveau d’un os du pied et que je devais déclarer forfait.

Je venais de recevoir ma valise de l’équipe de France avec mes tenues officielles pour les Jeux olympiques. Neuf ans après, je n’ai d’ailleurs toujours pas ouvert cette valise.

J’étais dans la forme de ma vie, j’en avais conscience, et en quelques minutes j’ai basculé dans la blessure. J’ai alors pris conscience que je devais oublier tous les objectifs que je m’étais fixés.

Avec le recul, je me dis que ce qui m’a aidé à surmonter cette difficulté c’est d’avoir déjà vécu les Jeux olympiques en 2008. Cela m’a aidé à accepter la blessure mais également le fait que les Jeux se déroulent sans moi.

À ce moment-là, je me suis tout de même interrogée sur le fait de me relancer sur un cycle de quatre ans. Ce n’est pas évident car je savais qu’il fallait repartir sur quatre ans de préparation, mais qu’avant cela il fallait gérer la phase d’immobilisation puis de rééducation, et que la route allait être très longue.

Comment vous êtes-vous remise d’une telle déception ?

Je me suis dit qu’il fallait que je me relève car je n’avais pas le choix. La blessure était présente, j’avais trois mois d’immobilisation, j’ai essayé de l’accepter et de bien me soigner dans un premier temps, et me suis dit que je ferai le point dans un second temps.

Au moment où je déclare forfait, beaucoup de personnes m’ont demandé si j’allais regarder les Jeux olympiques à la télévision. Bien évidemment, je les ai regardés car je suis une passionnée, j’adore le sport et ma discipline donc j’ai regardé les Jeux, sans amertume.

Avant ma blessure, j’avais prévu d’arrêter ma carrière à la fin de l’année 2012, et cette blessure est venue changer mes plans, je ne voulais pas m’arrêter sur une blessure et sur un échec, je suis donc repartie pour une saison.

C’est finalement après cette désillusion que vous obtenez les meilleures performances de votre carrière, y a-t-il un lien ?

On dit toujours qu’on revient plus fort après les blessures, mais dans mon cas, je ne pense pas que ce soit la désillusion qui m’ait permis d’obtenir mes meilleures performances.

Je pense tout simplement que ce sont le travail et les acquis des années qui m’ont permis de progresser, ainsi que le repos de mon corps durant la blessure. Cette blessure était simplement un signal d’alerte envoyé par mon corps me disant qu’il avait besoin de repos. J’ai écouté mon corps, je me suis reposée physiquement et mentalement et cela m’a permis de repartir en 2013.

En 2014 j’étais dans la meilleure année de performance de ma carrière. Durant cette année, j’ai ressenti le bienfait de toutes ces années d’entraînement, ce qui m’a conduit à ce titre de championne d’Europe.

En 2014, vous devenez championne d’Europe du marathon en 2 h 25 min 14 (CR), est-ce le meilleur souvenir de votre carrière ?

J’ai trois émotions durant ma carrière. Le marathon de Paris que j’ai couru en 2007, 2009 et 2010 aux côtés de mon conjoint et lors duquel j’ai obtenu deux records de France.

Au-delà des records de France, partager un tel évènement avec la personne la plus proche de soi n’arrive pas à beaucoup de sportifs. De plus, passer la ligne avec le record de France à Paris reste une belle émotion.

La deuxième émotion est ma 3ème place au marathon de New York en 2009 car cela reste le plus beau et le plus grand des marathons avec une ambiance particulière.

Le titre de championne d’Europe est différent. Ce titre, je le qualifierais comme celui de la « reconnaissance » du grand public. Ce jour-là, beaucoup de téléspectateurs étaient devant leur télévision, la course était particulière, le suspense a été intense, donc je dirais que c’est la reconnaissance de ma carrière. De plus, c’est le seul marathon que j’ai gagné, et entendre la Marseillaise dans un stade avec le maillot de l’équipe de France, c’est une autre dimension, c’est une émotion unique.

En 2016, aux Jeux olympiques de Rio, vous abandonnez au 30ème kilomètre en raison d’une blessure au tendon d’achille. Est-ce que vos difficultés aux Jeux olympiques constituent une déception dans votre carrière ?

Oui, mes performances aux Jeux olympiques sont mes grandes déceptions. J’ai connu un abandon en 2016, un forfait en 2012 et une 20ème place en 2008, je n’ai donc pas réussi les Jeux olympiques.

Si j’ai eu la chance de me qualifier pour trois olympiades, cela ne reste pas les meilleurs souvenirs athlétiques que je conserve. En revanche, en ce qui concerne les souvenirs globaux des Jeux olympiques, c’est-à-dire l’expérience olympique, j’en retiens de bons souvenirs.

Le système de corruption ayant permis de couvrir le dopage en Russie a récemment été reconnu. Quel est votre sentiment et que ressent-on lorsque ses adversaires réalisent des performances anormales ?

Je suis dans une discipline malheureusement très touchée par le dopage. Il y a eu du dopage individuel, mais le plus terrible c’est le dopage collectif et les cas de dopage passés sous silence avec le système de corruption mis en place. C’est terrible d’apprendre une telle injustice, ce qui m’a mise en colère c’est que les instances qui sont censées protéger les athlètes dissimulaient finalement des contrôles positifs.

Lorsque l’on prend le départ d’un marathon actuellement, je dirais que tout le monde soupçonne tout le monde. Dans ce cas, il faut se concentrer sur sa propre performance. Pour ma part, mon objectif en faisant du marathon était de découvrir jusqu’où je pouvais aller dans la performance, dans le dépassement, dans l’épanouissement.

J’ai appris plein de choses sur moi grâce à mon sport donc je retiens plutôt mes performances personnelles.

Mais bien évidemment, on espère que les athlètes qui trichent seront sanctionnés.

Sur la ligne de départ, on sait toujours que certains sont en train de tricher, on le sent au regard de leur performance, mais également par la manière de réaliser cette performance ainsi que la récupération. Cependant, on ne peut que soupçonner tant qu’il n’y a pas eu de contrôle positif.

Vous disiez récemment dans une interview que vous aimiez les émotions procurées par la course à pied. Pensez-vous que performance et émotion sont liées ?

Il faut savoir ce que l’on recherche dans la performance. Moi j’aimais savoir jusqu’où je pouvais aller.

Les sensations procurées à l’entraînement quand on a la forme et qu’on peut courir vite, voir que l’on peut aller décrocher un bon chronomètre, ce sont de magnifiques émotions et nous les recherchons constamment car elles poussent à la performance.

En revanche, il ne faut pas que ces émotions aient un effet négatif, il est donc nécessaire de les canaliser afin qu’elles ne déstabilisent pas.

Est-ce l’expérience qui permet d’apprendre à gérer les émotions ou est-ce finalement une question de personnalité ?

Je pense qu’il y a les deux. Chaque athlète, selon sa personnalité, réussit plus ou moins à canaliser ses émotions, et l’expérience permet de ne pas refaire les mêmes erreurs.

Lors du marathon de New York, j’ai terminé 3ème. Pourtant, ce jour-là, j’étais la plus forte mais je ne le savais pas. J’étais prise inconsciemment par mes émotions, je ne savais pas gagner et surtout je me suis satisfaite de cette 3ème place avant même la fin de la course.

C’est à la fin de la course, en prenant le temps de l’analyser que je me suis rendu compte que j’étais dans de belles émotions mais que j’avais manqué de discernement. Cependant j’ai su réutiliser cette analyse pour la suite de ma carrière.

Lorsque vous couriez un marathon, étiez-vous exclusivement concentrée sur la performance ?

J’étais concentrée sur ma performance, toujours un œil sur le chronomètre, sur le ravitaillement pour bien les prendre, ainsi que sur mes adversaires, leur allure, leur respiration, la gestion de leur course. De plus, on court en groupe donc il faut être vigilant pour ne pas chuter.

Je m’accordais également des moments « off » en prenant l’ambiance de la course, les encouragements, j’essayais parfois de reconnaitre la voix de mon coach ou de mes proches. De plus, nous courons parfois dans de magnifiques endroits et c’est agréable de s’imprégner de la beauté d’un site, j’étais réceptive à cela.