[Livre Performance Allyteams] Interview Hubert Henno - Volley-ball
Ancien volleyeur professionnel, Hubert totalise 254 sélections en équipe de France. Nommé meilleur libéro du monde en 2002 et 2013, il est l’un des palmarès les plus riches du volley français. Il a tiré sa révérence en 2019 pour devenir entraîneur.
Participation aux Jeux Olympiques 2004.
Hubert, est-ce que, comme dans un sport individuel, les équipes de volleyball sont préparées pour connaître leur pic de performance en fonction des objectifs du club ?
Oui, selon les objectifs de la saison et la programmation des différentes compétitions, le coach identifie le moment lors duquel il souhaite que ses joueurs connaissent leur pic de forme. Une fois cette identification faite par le coach, ce dernier transmet ces informations au préparateur physique qui crée les programmes physiques des entraînements.
Il arrive cependant que les priorités ou objectifs de l’équipe évoluent en cours de saison, notamment en raison des résultats, ce qui nécessite d’adapter la planification qui avait été initialement prévue.
Comment les objectifs sportifs d’un club de volley-ball sont-ils fixés ?
Ce sont souvent les dirigeants qui fixent les objectifs. Il y a bien évidemment un lien entre les moyens financiers du club et les objectifs sportifs qui seront fixés. Ce n’est donc ni l’entraîneur, ni les joueurs qui fixent les objectifs sportifs.
Lorsque j’étais entraîneur de Tours par exemple, l’objectif fixé par mes dirigeants était de tout gagner au niveau national, et d’être le plus performant possible, au niveau européen, en Ligue des Champions.
Il était donc nécessaire de construire et de programmer l’équipe en fonction des exigences des dirigeants pour tenter de remplir les objectifs fixés en début de saison.
Avez-vous déjà été, en tant que joueur, dans une situation dans laquelle il fallait jouer le maintien, et est-ce différent psychologiquement que jouer pour gagner un titre ?
Cela m’est arrivé une seule fois dans ma carrière, car j’ai toujours eu la chance de jouer dans des équipes qui visaient des titres.
Je me souviens parfaitement de cette saison car essayer d’éviter la descente est stressant, j’avais la sensation de ne pas jouer pour gagner mais de jouer pour éviter de perdre, ce qui, psychologiquement, est totalement différent.
Il y a également la situation dans laquelle le joueur est dans une équipe de moitié de tableau, c’est-à-dire une équipe qui ne descendra pas, mais qui n’est pas armée pour jouer le titre.
Dans cette situation, la pression est différente, moins forte.
En revanche, jouer dans une équipe qui a pour objectif le titre génère une pression constante. Tous les adversaires jouent en n’ayant rien à perdre et c’est souvent dans ce type de match, sans pression pour l’adversaire, que ce dernier réalise une belle performance.
La pression sur les épaules des joueurs est donc constante car dans ces équipes à objectifs élevés les joueurs ont conscience qu’ils n’ont pas le droit de perdre. La meilleure solution pour gérer cette pression constante est de mettre à l’entraînement une haute intensité pour être prêts à gérer cette intensité en match.
Comment gériez-vous une saison en club l’année d’une compétition avec l’équipe de France ?
Du fait de mon poste, qui n’était pas traumatisant ce qui limitait le risque de blessures, je n’avais pas de pensées négatives ou de crainte de me blesser, donc je n’anticipais pas la compétition internationale, je jouais toujours match après match sans me projeter. Je n’ai donc jamais connu de saisons pendant lesquelles je me suis dit qu’il fallait que je m’économise car je n’ai jamais été un joueur qui s’économisait, ni à l’entrainement ni en compétition. Je suis toujours parti du principe que donner le meilleur de soi-même à tout instant reste la meilleure façon de performer.
Entre 1999 et 2014, vous avez été nommé 3 fois meilleur libéro du championnat de France, 2 fois meilleur libéro du championnat d’Italie, 2 fois meilleur libéro d’Europe, 2 fois meilleur libéro du monde. Comment s’explique cette longévité au plus haut niveau ?
J’explique ma longévité par mon hygiène de vie. J’ai toujours été vigilant à mon hygiène de vie considérant mon corps comme mon outil de travail que je devais préserver.
Ensuite, je dirais le professionnalisme, c’est-à-dire l’exigence mise au quotidien que ce soit aux entraînements, pendant les matchs mais également pendant les temps de repos.
Un sportif de haut niveau doit apprendre à gérer son corps et j’ai toujours estimé que pendant une saison, les temps de repos étaient aussi importants que les temps de travail. C’est souvent une pensée que n’ont pas les jeunes sportifs de haut niveau, mais c’est pourtant l’un des secrets de la longévité.
Je reconnais également qu’il y a quelques années nous jouions moins de matchs que les joueurs actuels car les calendriers sont devenus infernaux. En jouant 70 à 80 matchs par an, le corps ne peut pas encaisser tous ces efforts et le joueur perd nécessairement en exigence et en qualité.
Vous insistez sur l’importance des temps de repos. Est-ce que ces temps vous ont contraint à renoncer à certains plaisirs du quotidien ?
Je dirais que j’ai toujours été très vigilant sur les sorties. Je ne sortais pas avant ou après les matchs. À l’époque, nous avions souvent deux matchs tous les cinq jours, donc je ne sortais pas après le premier match car je pensais déjà au prochain et je privilégiais le repos.
Je veillais également à bien me reposer quarante-huit heures avant et après les matchs car mon corps étant mon outil de travail je voulais le placer dans les meilleures conditions pour performer.
Sur la partie nutrition, je ne peux pas dire que je me suis privé mais je faisais attention à ce que je mangeais. J’ai le souvenir, quand je jouais en Italie, d’avoir des coéquipiers qui pesaient tous leurs aliments donc partager leur quotidien me poussait à ne pas faire d’écart.
J’ai donc toujours été vigilant mais je savais me faire plaisir à certaines périodes de l’année car il est également important d’être bien dans sa tête pour performer.
Est-ce que, selon vous, la performance individuelle a un sens dans un sport collectif ?
Oui bien sûr car la performance individuelle fait partie du sport collectif. Je disais souvent à mes joueurs que cela ne me dérangeait pas qu’ils jouent pour eux. Cependant, jouer pour soi ne veut pas dire être individualiste.
En règle générale, dans un sport collectif le joueur individualiste se fait vite identifier comme tel par ses coéquipiers car il n’a pas le feeling avec le groupe ; il se fera exclure naturellement du groupe.
Il y a des joueurs qui jouent pour eux mais qui savent parfaitement se fondre dans le collectif. Ce sont des joueurs qui font parfaitement leur travail mais ils ne vont pas forcément s’exprimer dans le collectif que ce soit négativement ou positivement.
Il faut également prendre en compte que les joueurs jouent aussi pour leurs statistiques afin d’obtenir de meilleurs contrats, et il faut l’avoir en tête qu’en tant que coach. À partir du moment où l’état d’esprit des joueurs ne pénalise pas le groupe cela ne me pose pas de difficulté.
Je disais souvent à mes joueurs qu’ils jouaient pour eux et que cela serait utile pour le collectif. En revanche, je ne voulais pas rentrer dans la spirale négative de la comparaison entre joueurs. Il ne faut pas oublier que dans un sport collectif tout le monde ne performe pas forcément au même moment et qu’il y a un nécessaire soutien de son ou ses coéquipiers en difficulté.
Par conséquent, si la performance individuelle existe et est nécessaire dans un sport collectif, il faut qu’elle soit bien gérée et qu’elle aille dans le sens du collectif. En 2016, vous avez été rappelé en équipe de France alors que vous aviez 40 ans.
Comment avez-vous vécu cette différence de générations avec vos coéquipiers ?
C’est une excellente question car j’avais appréhendé mon retour en raison de cette différence de générations. J’étais heureux de revenir en équipe de France car j’étais sorti sur une mauvaise note en 2010. Mon retour s’est bien passé car mon rôle était clair, j’étais là pour transmettre mon expérience pendant le tournoi de qualification olympique (TQO) que j’avais déjà vécu pour essayer de qualifier l’équipe aux Jeux olympiques. J’ai donc pris ce rôle à cœur et tous mes coéquipiers ont parfaitement compris ce rôle. La différence de générations n’a donc posé aucune difficulté, au contraire, je pense que le mélange de générations dans un collectif est une force si cette différence est bien gérée.
Vous avez connu différentes générations de joueurs. Selon vous, est-ce que l’évolution des générations nécessite une différence de management ?
Oui le management doit nécessairement être adapté. Dans ma génération, un joueur expérimenté, ou le coach, pouvait réprimander un jeune joueur sans que ce dernier ne réponde.
Maintenant, les différences d’âge et d’expérience ne suffisent pas.
Avec la nouvelle génération, il faut prendre le temps d’expliquer les choses plus en détail. Il y a plus de susceptibilité donc je pense qu’il faut prendre plus de temps pour expliquer les choix car c’est une génération qui a besoin de comprendre. Cela nécessite d’être plus compréhensif et pédagogue
Faut-il être « copain » avec ses coéquipiers pour gagner ?
À haut niveau, il n’est pas nécessaire d’être copain avec ses coéquipiers pour gagner car un sportif de haut niveau est payé pour ses performances.
Cette question revient à la question de la performance individuelle dans un sport collectif. Le fait que les individualités performent permet au collectif d’être performant.
Cependant, il est toujours plus agréable de faire partie d’une équipe dans laquelle il est plaisant de jouer car l’impact sur la performance individuelle et donc sur le collectif sera positif.
Enfin, ce qui est important c’est de faire, dans les moments de stress, la part des choses entre l’ami que tu vois tous les jours avec lequel tu partages des moments de vie et ton coéquipier, qui à un instant précis, a besoin d’un coup de boost en raison de ses contre-performances. Il ne faut donc pas confondre l’amitié avec l’exigence du haut niveau et ne pas hésiter à recadrer un joueur et à lui parler franchement, même s’il s’agit d’un ami.
Pour ma part, j’ai toujours fonctionné avec l’exigence et n’ai jamais eu de difficulté à faire la part des choses entre le terrain, c’est-à-dire mon métier, et l’amitié.
Vous avez joué onze ans en équipe de France. Vous avez terminé 3ème au championnat du monde et deux fois finaliste au championnat d’Europe mais n’avez remporté aucun titre. Est-ce un échec ?
Ce n’est pas un échec mais je dirais que c’est un regret de ne pas avoir gagné avec l’équipe de France. Je n’ai cependant aucune amertume ou rancœur envers l’équipe de France qui gagne actuellement, bien au contraire, je suis ravi pour eux et suis leur premier supporter car cela faisait des années que le volley-ball français ne gagnait pas.
Qu’est-ce qu’il vous a manqué pour gagner l’une de ses compétitions ?
Ce que nous n’avions pas à l’époque et que l’équipe de France actuelle a, c’est quatorze voire seize joueurs quasiment interchangeables. Il y a donc une rotation qui, quand elle joue, n’abaisse pas le niveau. L’homogénéité, la densité du groupe, est impressionnante et c’est extrêmement important.
À l’époque nous n’avions pas cette densité, nous avions huit ou dix joueurs au-dessus donc à la fin de la compétition forcément la fatigue se faisait sentir car la débauche d’énergie durant toute la compétition était énorme. Je pense que l’absence d’homogénéité de notre groupe est l’une des raisons pouvant expliquer notre absence de titre.
L’un de vos fils a été champion d’Europe en 2019 avec l’équipe de France des moins de 17 ans. Est-ce que le goût de la performance se transmet et, si oui, comment ?
Je ne sais pas, c’est une question qu’il faudrait lui poser. Il est certain qu’en me voyant au quotidien durant toute son enfance, cela a dû avoir un impact sur lui. Peut-être également que par l’éducation reçue, la rigueur, la force de travail et le goût de la performance lui ont été transmis.
Cependant, il a son propre caractère, je veux qu’il construise sa carrière comme il le souhaite. Qu’il fasse ses propres choix, même s’il sait qu’il pourra toujours compter sur mes conseils et mon avis s’ils les souhaitent.
J’étais présent au championnat d’Europe en 2019 et j’ai trouvé le groupe d’une grande qualité. J’ai été surpris non pas du résultat mais de l’exigence que ces jeunes joueurs possèdent déjà. Je pense que les résultats de l’équipe de France senior contribuent à transmettre aux équipes de France jeunes le goût de la performance car les jeunes joueurs savent que pour rejoindre l’équipe de France senior la marche est haute et que seuls le travail et la rigueur permettront d’y arriver.
Vous avez récemment indiqué dans une interview que, selon vous, l’émotion influence la performance. Qu’avez-vous voulu dire ?
J’ai toujours été quelqu’un de froid car c’était ma façon de gérer l’émotion. Ce qui fait la différence c’est la capacité émotionnelle de chaque joueur à gérer le stress, surtout dans les moments importants. C’est ce qui fait la différence entre les bons et les très bons joueurs. Après, chaque joueur évacue le stress différemment, mais pour ma part c’était dans le calme et la sérénité.