[Livre Performance Allyteams] Interview Camille Ayglon-Saurina - Handball
Récemment retirée des terrains, Camille a remporté six médailles internationales avec l’équipe de France dont un titre de championne du monde en 2017 et un de championne d'Europe en 2018. Elle totalise 270 sélections chez les Bleues.
Participation aux Jeux Olympiques 2008, 2012 et 2016.
Médaille(s): 1 x argent.
Camille, vous avez obtenu votre première sélection en équipe de France en 2007 et y étiez encore en 2019, comment expliquez-vous une telle longévité au plus haut niveau ?
Je pense avoir une bonne constitution, ce qui aide. Quand j’ai commencé le handball, mon surnom était Bambi car j’avais de petites jambes fines, je prenais beaucoup de coups dans les matchs et tout le monde pensait que je ne durerais pas forcément longtemps dans ce sport mais je me suis révélée plus solide que ce que les gens imaginaient.
Plus sérieusement, je pense que ma longévité à haut niveau je la dois à ma force de travail car je ne pense pas être la plus talentueuse, techniquement notamment, mais ma force durant toute ma carrière a été la défense et ce secteur demande beaucoup d’engagement, de travail, et de courage car il ne faut jamais baisser la garde. C’est donc le travail qui m’a permis de rester au plus haut niveau notamment avec l’équipe de France, et de mériter de rester à ce niveau-là.
Avez-vous été intransigeante sur certains aspects pendant votre carrière ?
La majorité des sportifs surveille son alimentation pour ne pas prendre de poids. Pour ma part, je me suis toujours battue pour essayer de ne pas perdre de poids, de maintenir un poids de forme suffisant pour conserver une masse musculaire suffisante donc même l’été je ne me suis jamais permis de m’arrêter pendant une longue période. En effet, dès que j’arrête le sport je perds du muscle et il me faut un certain temps de préparation physique pour récupérer le peu de musculature que j’arrive à obtenir. Cela a été en quelque sorte le fil rouge pendant toute ma carrière, donc je dirais que j’ai été extrêmement vigilante à maintenir mon poids de forme.
Comment définissez-vous la performance ?
Pour la majorité des gens, performer se traduit par remporter des titres. À mon sens, la performance n’est pas juste cela. La performance peut se traduire comme la capacité à optimiser les moyens que l’on possède pour en tirer le meilleur. Une équipe avec des joueuses moins cotées et avec peu de moyens qui réussit à atteindre des objectifs plus élevés que ceux qu’elle s’est fixés est déjà une équipe qui performe.
Quelle est, selon vous, la meilleure performance de votre carrière ?
J’ai envie de retenir notre médaille de vice-championne olympique en 2016 à Rio.
J’estime que cette médaille est une performance car nous sortions d’une période difficile, nous étions encore en reconstruction et avions peu de temps pour préparer ces Jeux olympiques avec le retour d’Olivier Krumbholz, au poste de coach. Au mois de mars, soit moins de quatre mois avant la compétition.
Je pense qu’à partir de son retour, toute l’équipe s’est mise en mode commando, c’est-à-dire toutes les joueuses au quotidien dans leur club et avec le staff, pendant toute la durée de la préparation.
Les Jeux olympiques sont vraiment une compétition très dense et même si nous n’avons pas remporté le titre et que nous avons bien sûr eu quelques regrets, nous avons très vite pris conscience que nous avions tout de même accompli une vraie performance. Si tout n’était pas réuni au départ pour performer, nous avons réussi à faire quelque chose de grand, une première médaille pour le handball féminin français aux Jeux olympiques.
A contrario, quelle serait la plus grande contre-performance de votre carrière ?
Encore aux Jeux olympiques, cette fois-ci à Londres en 2012. Lors de cette compétition, nous perdons en quart de finale et ce match s’est joué sur un détail, un petit but, mais toutes les performances se jouent sur un détail. C’est une vraie déception car lors de cette compétition nous avions tous les éléments pour gagner, notre niveau de jeu n’avait jamais été aussi élevé, tous les voyants étaient au vert, donc pour moi, et pour toutes les filles de l’équipe je pense, cette défaite a été vécue comme une vraie contreperformance.
Comment expliquez-vous cette contre-performance alors que vous reconnaissez vous-même que vous aviez tout pour gagner ?
Cette défaite a été vraiment compliquée à accepter donc peut-être que ce n’est pas celle que nous avons la mieux analysée. Cependant, cette défaite nous a longtemps marquées, nous l’avons trainée comme un boulet pendant un certain temps car nous n’avons pas performé pendant plusieurs années à l’international postérieurement à 2012.
Nous étions meurtries par cette défaite, nous avons perdu le match sur un ballon qui traine et qui est récupéré par l’équipe adverse. Dans un moment tel que celui-ci, on a tout de suite envie de se dire que c’est de la malchance, ce qui permet d’enlever un peu de responsabilités, mais cela n’aide pas à mieux accepter. Lors de cette compétition, la chance n’était pas de notre côté.
En revanche, je pense que quand on réalise une performance, ce qu’on a pu faire lors de nos deux titres de championne d’Europe et du monde, beaucoup de facteurs entrent en jeu, notamment le facteur chance ou réussite. Je suis persuadée que toute équipe a besoin de ce facteur pour performer. Les équipes qui réussissent à remporter des titres au plus haut niveau ont ce petit plus, cette réussite qui contribue à la victoire finale. C’est d’ailleurs lorsque l’équipe réussit à avoir, en plus de sa force collective, ce petit plus, qu’elle fait la différence. C’est un vrai enjeu dans un sport collectif et notamment le handball.
Vous disiez que cette défaite ayant été douloureuse, ce n’est peut-être pas celle que vous avez la mieux débriefée. Le debrief est une étape importante après un match ?
Oui bien sûr, le debrief est important, notamment lors de défaites, mais je dirais également qu’il l’est tout autant lors de victoires et que ce n’est pas forcément toujours réalisé lorsque l’on gagne.
Quand tout fonctionne, on a souvent une autosatisfaction qui est générée par la victoire et qui peut conduire à oublier de suffisamment débriefer.
Cependant, je pense que lorsqu’on a remporté une compétition, pour gravir un autre sommet il faut accepter de parfois redescendre, car quand on a réalisé une performance, le plus dur est de répéter cette performance.
Je pense donc que si nous ne prenons pas le temps nécessaire de débriefer pour savoir quels ont été les éléments ayant permis la performance, la préparation d’une performance future n’est pas facilitée. La critique, d’une victoire ou d’une défaite, est essentielle car elle permet de s’améliorer et il ne faut pas penser que dans une victoire tout a été parfait. Il y a toujours des enseignements à tirer.
Vous fixiez-vous des objectifs individuels en début ou en cours de saison ?
Je ne me fixais pas d’objectifs individuels en termes de nombre de buts ou de récompense individuelle, c’est-à-dire des objectifs quantitatifs, car pour moi la dimension collective est essentielle. Cependant, je me fixais des objectifs que je décrirais comme qualitatifs. Dans ma dernière équipe, on attendait de moi que je sois une taulière de la défense donc il fallait que j’assure la communication. Si autour de moi je sentais que cela ne fonctionnait pas, c’était de ma responsabilité car on attendait de moi que la défense soit bien huilée. C’était mon rôle et je devais faire en sorte que mon expérience permette cela.
Plus généralement, je pense qu’il est toujours difficile dans un sport collectif de se fixer des objectifs quantitatifs précis à titre individuel. Je sais que certaines joueuses s’en fixent, mais cela n’a jamais été mon cas. Cependant, je reconnais qu’il n’y avait aucune logique à ce que je me fixe des objectifs tels que terminer meilleure buteuse en fin de saison car cela n’a jamais été dans mes qualités, donc je n’ai jamais vu l’intérêt de me fixer un tel objectif.
On a la sensation que la médaille d’argent aux Jeux olympiques de Rio en 2016 a libéré l’équipe de France qui, en 2017 a été championne du monde et en 2018 championne d’Europe. Est-ce le cas ?
Oui vous avez raison, cette médaille aux Jeux olympiques a été un déclic car cela faisait plusieurs années que nous avions conscience d’avoir le potentiel pour accrocher un podium dans une compétition internationale, mais malgré cela nous avons passé cinq années sans médaille. Après deux titres de vice-championne du monde en 2009 et 2011, cinq ans de disette constituent une longue période. Durant cette période, nous avons terminé à plusieurs reprises quatrièmes ou cinquièmes de différentes compétitions, nous n’étions jamais loin d’accrocher une finale, mais à chaque fois nous échouions de peu.
Je dirais donc que notre médaille en 2016 a été un réel déclic psychologique et une libération car une majorité des joueuses était présente en équipe de France depuis 2006 ou 2007 et renouer avec une place sur le podium a été une véritable joie. Je pense aussi que le fait de ramener la médaille d’argent des Jeux olympiques a eu une saveur particulière car nous étions la première équipe féminine de handball à remporter une médaille aux Jeux. Se dire que nous avons marqué l’histoire de notre sport était également une belle récompense et a donné confiance à cette équipe.
Cette médaille vous a-t-elle permis d’avoir une approche différente lors des compétitions ultérieures ?
Je pense que nous devons notre médaille aux Jeux olympiques à plusieurs facteurs mais notamment à l’approche novatrice que nous avons eue de cette compétition.Nous avons fait un travail avec un préparateur mental avant la préparation aux Jeux olympiques. Il nous a aidées en tant qu’équipe car nous avons effectué ensemble un travail d’une grande importance qui n’a pas été forcément le travail auquel on pense lorsqu’on fait appel à un préparateur mental, c’est-à-dire un travail qui consisterait, par exemple, à apprendre à gérer du stress ou de l’appréhension lors des compétitions, car ce n’était pas ce dont nous avions besoin.
Nous avons travaillé sur la dynamique de groupe, sur la connaissance de chacune des joueuses formant le groupe, des personnalités de chacune, de l’interaction entre nous, sur la compréhension de chacune en fonction de son caractère et de sa façon de penser et d’exprimer ses besoins.
Ce travail nous a permis de comprendre comment réussir à se donner de la force mutuellement en fonction des profils de chacune d’entre nous. Cette parfaite connaissance de toutes les joueuses du groupe nous a permis, j’en suis certaine, de faire la différence sur le terrain, d’engranger de la confiance les unes envers les autres et dans ce que nous étions capables de réaliser ensemble.
À la suite des Jeux olympiques, nous avons surfé sur cette bonne dynamique, et en 2017 nous devenons championnes du monde face à la Norvège, qui nous avait dominées à de nombreuses reprises par le passé, ce fut un magnifique moment.
En 2018, au championnat d’Europe, nous savions que nous étions attendues en raison de nos derniers bons résultats mais nous avons parfaitement géré cette pression car nous étions un groupe solide.
Concrètement, comment s’est réalisé ce travail de préparation mentale ?
Notre préparateur mental a eu recours à la méthode dite « action-types », c’est une méthode qui consiste d’abord à définir le profil de chaque joueuse de l’équipe. Cette approche a permis à chacune d’apprendre sur elle, car je pense que nous n’étions peut-être pas conscientes de certaines de nos caractéristiques.
Une fois que le profil de chaque joueuse a été réalisé, nous avons fait un retour en équipe et cela a donné des codes sur la façon de fonctionner entre coéquipières, ce qui est intéressant car sur un groupe de vingt-cinq joueuses les fonctionnements sont forcément différents. Ce travail nous a permis de mieux nous comprendre, et lorsqu’on comprend mieux les individus, il est plus facile de s’accepter avec nos différences.
Avec cette approche, nous nous sommes éloignées de l’aspect handball « pur » mais cette connaissance de chacune d’entre nous par l’ensemble du groupe a été un élément décisif dans nos performances.
Pourquoi avoir fait le choix de partir en Roumanie, dans le club du CSM Bucarest, entre 2016 et 2018 ?
Ce choix s’est fait par la force des choses. Je jouais dans le club de Nîmes, mon mari également, il nous restait deux ans de contrat et notre chemin était tout tracé. Cependant, le club de Nîmes a fait faillite, et il a fallu que nous trouvions un club dans lequel chacun d’entre nous pouvait s’épanouir. Nous avons trouvé le club de Bucarest qui nous a permis de jouer la coupe d’Europe tous les deux et pour moi c’était le top niveau européen car l’équipe venait de remporter la Ligue des Champions. C’était donc un très beau défi sportif à relever.
Quelques mois avant de signer à Bucarest, nous nous disions avec mon mari que la seule chose que nous n’aurions pas connue dans notre carrière est une expérience à l’étranger, mais l’opportunité s’est finalement présentée. C’est un choix que nous avons fait ensemble, qui pouvait être effrayant au départ mais nous étions en famille donc cela a été une expérience très enrichissante sportivement et humainement. Ce sont deux années qui ont énormément compté dans ma carrière.
Qu’est-ce que cette expérience à l’étranger vous a apportée professionnellement et personnellement ?
Les débuts n’ont pas été évidents car je ne parlais pas bien anglais, ce qui n’aide pas à la bonne communication. Cependant, le point positif est que cela m’a contrainte à sortir de ma zone de confort et à tester ma capacité d’adaptation. J’ai connu des méthodes très différentes car j’ai côtoyé en deux ans un entraîneur roumain, deux entraîneurs danois et un entraîneur suédois. Au sein de l’équipe, de nombreuses nationalités étaient représentées et le niveau de jeu très élevé au quotidien à l’entraînement m’a permis de continuer à progresser même si je n’étais déjà plus une petite jeune.