[Livre Performance Allyteams] Interview Paul-Henri Mathieu - Tennis

18 mars | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Paul-Henri Mathieu - Tennis | Allyteams

Paul-Henri est un joueur de tennis français, vainqueur en simple de quatre tournois sur le circuit ATP, il a également atteint la 12ème place mondiale en 2008. Il est désormais directeur du haut niveau à la Fédération Française de Tennis.

Participation aux Jeux Olympiques 2008.

Comment définiriez-vous la performance ?

Je dirais que la performance réside dans la fixation d’un objectif, et de tout ce qui va être mis en œuvre pour l’atteindre. La performance n’est donc pas, à mon sens, l’obtention d’un résultat, mais le processus qui va permettre d’atteindre l’objectif fixé.

Quelle est la plus grande performance de votre carrière ?

Ma plus grande performance a été le chemin parcouru pendant ma convalescence, en 2011 et 2012, lors de mon opération du genou, à cause de laquelle ma carrière a été fortement menacée. Les médecins ne savaient pas si j’allais pouvoir, un jour, retrouver le chemin des courts. Je me suis fixé l’objectif de revenir et ai tout fait pour l’atteindre en construisant, étape par étape, ce retour. C’est une vraie performance.

Quelle est la plus grande contre-performance de votre carrière ?

Tout comme pour ma plus grande performance, ma plus grande contre-performance n’est pas un résultat. Avec le recul qui est le mien aujourd’hui sur ma carrière, ma plus grande contre-performance est, je pense, de ne pas avoir été assez ouvert pour changer mon style de jeu. J’avais un jeu très stéréotypé et si on m’avait donné plus de clés et apporté plus d’outils pour élargir ma palette de coups, j’aurais certainement réalisé de meilleures performances en termes de résultat.

Vous avez participé aux Jeux olympiques de 2008 à Pékin et avez atteint les quarts de finale. Que retenez-vous de cette compétition ?

Les Jeux olympiques sont une compétition très intense émotionnellement. Même si beaucoup disent que les Jeux ne sont pas forcément importants pour un joueur de tennis, je dirais que cette compétition a tout de même pris de l’ampleur dans le monde du tennis dans les années 2000.

Au-delà de la compétition en elle-même, c’est l’ambiance des Jeux qui est inégalable. Représenter son pays et défiler avec l’ensemble de la délégation française est une émotion indescriptible. Cette compétition était l’un de mes objectifs de l’année 2008 et ma défaite en quart de finale a été l’une des plus difficiles à encaisser de ma carrière car perdre un quart de finale est perdre le match juste avant celui qui pouvait permettre de jouer pour une médaille.

Vous avez connu de nombreuses blessures dans votre carrière, et notamment une opération d’une ostéotomie tibiale en 2011 qui vous a tenu écarté des cours pendant plus d’un an. Quel a été votre rapport à la douleur ?

Mon seuil de tolérance était poussé à l’extrême, à chaque match je repoussais ce seuil toujours un peu plus et, au fil du temps, la douleur a fini par finalement faire partie de moi.  Je ne la repoussais plus car si je la repoussais je savais que je ne pourrais jamais revoir le court comme avant.

Les douleurs étaient tellement nombreuses et persistantes que j’ai finalement décidé de jouer avec elles, de les accepter, elles faisaient partie intégrante de ma vie sur le court. Dès lors que j’ai accepté de jouer avec ces douleurs, tout est devenu plus facile, elles n’étaient plus un problème.

L’une des principales qualités d’un tennisman est de pouvoir jouer relâché, quel que soit l’enjeu. Est-il possible de jouer relâché tout en luttant pour repousser son seuil de tolérance à la douleur ?

Je jouais très rarement relâché, malheureusement. Un tennisman joue entre 60 et 70 matchs par saison, et le relâchement extrême, qu’on appelle la « zone », c’est-à-dire le moment où l’on ne pense à rien et où jouer devient facile, cela arrive deux à trois fois dans l’année et le reste du temps on joue plus tendu. Il faut donc faire avec cette tension et trouver les solutions qui permettront de gagner le match.

Lorsque l’on réussit à jouer relâché, on essaie d’analyser les raisons de ce relâchement pour être en capacité de retranscrire cette sensation sur les matchs suivants, mais c’est bien évidemment extrêmement difficile.

C’est d’ailleurs le relâchement qui fait la différence entre Federer, Nadal, Djokovic, et les autres. Ces trois joueurs, dans les moments de très haute tension, sont capables de prendre les décidions justes, très rapidement, grâce à un relâchement total. Ce sont lors de tels moments qu’ils font la différence.

Vous avez remporté à Roland Garros, en 2012, un match contre John Isner après 5 heures 41 de jeu (18-16 dans le cinquième set). Dans quel état psychologique étiez-vous au moment de conclure ce match ?

J’ai eu besoin de sept balles de match ! Je n’étais pas le spécialiste des balles de match.

Souvent, quand j’avais des moments de tension en fin de match, au moment de conclure, cela m’arrivait de me mentir sur le score. Lorsque j’avais une balle de match, je me disais fréquemment que le score était de 30- 30, je me persuadais d’un faux score pour que je gère cette balle de match comme un point quelconque. Cela faisait partie des petites routines que j’avais mises en place pour éviter les moments de tension et de crispation en fin de match.

C’est d’ailleurs pour cela que je considère que la performance n’est pas le résultat mais le processus pour y arriver. Si on se focalise sur les conséquences de la balle de match, on a tendance à oublier la stratégie à mettre en place pour marquer le point et on perd la concentration nécessaire.

Il était donc important pour moi de tout séquencer et de me concentrer sur ce que je devais faire à l’instant « t », et de ne pas trop me projeter sur les conséquences du point, ou sur celui d’après, pour justement conserver ma concentration et le relâchement que je pouvais avoir.

Vous disiez que votre regret était de ne pas avoir su faire évoluer votre jeu. Avec le recul, y a-t-il une personne ou une fonction que vous rajouteriez à votre staff pour gagner en performance ?

Oui bien sûr. En revanche, je ne peux pas dire quelle personne, car je pense que dans le sport, comme dans la vie en général, c’est une question de rencontre et de feeling. J’ai aimé travailler avec tous mes entraîneurs, mais j’aurais aimé travailler avec le même entraîneur toute ma carrière, ce qui ne m’est pas arrivé, peut-être parce que je n’ai pas rencontré la bonne personne.

Cette personne aurait peut-être pu être un préparateur mental, avec lequel j’aurais pu travailler plus en profondeur sur les blocages qui étaient les miens et dont je ne me rendais pas forcément compte à l’époque, mais dont je suis conscient avec le recul.

C’est d’ailleurs pour cela que je pense que trouver les personnes avec lesquelles on souhaite travailler découle de rencontres, car lorsque l’on a un feeling avec une personne il est plus facile d’être soi-même et  de se livrer, d’autant plus que dans le sport de haut niveau l’entourage et primordial, c’est ce qui permet d’avoir un ancrage solide.

Cependant, un tennisman doit également raisonner en chef d’entreprise et tout le monde n’a pas les moyens financiers d’avoir un staff trop important, il faut donc faire des choix. Pour ma part, j’avais mon entraîneur de tennis, un préparateur physique et un kinésithérapeute.

Avez-vous travaillé avec un préparateur mental ?

Oui, en l’occurrence il s’agissait d’une femme, nous avons toujours travaillé ensemble, mais elle ne faisait pas partie de mon staff car nous collaborions seulement par séquence. Le travail mis en place n’était donc pas régulier, je la contactais lorsque j’en ressentais le besoin.

Avec le recul, j’ai conscience que j’aurais dû appréhender ce travail de préparation mentale différemment, avec un travail plus en profondeur qui m’aurait permis d’explorer d’autres pistes.

En fin de carrière, j’ai connu des difficultés extrasportives et j’ai été beaucoup aidé par un hypnotiseur, c’est une technique, si j’avais eu la chance de la connaître avant, que j’aurais utilisée dès le début de ma carrière sur des blocages que j’ai pu avoir, et qui aurait pu m’aider à faire sauter des verrous.

Plus globalement, avec le recul, quel regard portez-vous sur votre carrière ?

Aujourd’hui je n’ai pas de regret car j’étais persuadé durant ma carrière, lorsque je prenais des décisions, qu’elles étaient bonnes.

J’ai réalisé une carrière en dents de scie car j’ai connu beaucoup de blessures, cela m’a donc demandé une énergie très importante pour revenir à mon meilleur niveau et tous ces efforts usent physiquement mais également psychologiquement. Je suis conscient que cette énergie que j’ai mise dans ces moments, je ne l’avais plus pour des moments décisifs.

Avec le recul, j’ai le sentiment d’avoir toujours lutté pour obtenir quelque chose et que je voulais toujours plus.

J’ai été 12ème mondial, et lorsque j’occupais ce classement je voulais rentrer dans le top 5, mais je sais très bien que si j’avais été 5ème j’aurais voulu mieux, c’est sans fin.

Au commencement de ma carrière, j’ai le souvenir que je me disais que lorsque je franchirai le top 100 je serais plus détendu car financièrement je serai plus à l’aise pour vivre de mon métier. Lorsque j’ai atteint le top 100 je voulais être 60ème, puis je voulais être dans le top 30 pour rentrer dans tous les tournois sans passer par les qualifications, etc.

Finalement, la recherche de l’excellence est sans fin et cette recherche est aussi stimulante qu’usante car c’est une remise en question permanente.

Je suis donc très satisfait de ce que j’ai réalisé mais, bien sûr, j’aurais aimé obtenir encore plus.

Quel est, selon vous, le plus grand joueur de votre génération et pourquoi ?

Il y en a trois, Federer, Nadal et Djokovic. Ils sont à un niveau exceptionnel depuis des années grâce à leur talent respectif mais également car ils se poussent tous les trois à être meilleurs et à toujours vouloir gagner plus de titres.

Si, sur ces dix dernières années, le circuit n’avait connu qu’un seul de ces trois joueurs, je pense que ce joueur n’aurait pas le niveau qu’il a aujourd’hui. C’est en s’affrontant sur le court, mais également à distance, en termes de performance, qu’ils ont pu obtenir leur niveau actuel.

Le point commun de ces trois joueurs hors norme, c’est leur faculté à toujours vouloir gagner plus, malgré ce qu’ils ont déjà remporté, et cette volonté dépasse le cadre du sport. Ce sont des personnes qui veulent toujours plus, c’est dans leur ADN, et je suis certain que cette envie ils la mettront dans des projets autres lorsque leur carrière sera terminée.