[Livre Performance Allyteams] Interview Matthieu Peché - Canoë-kayak

25 avril | Actualités | Maximin DUMAS
[Livre Performance Allyteams] Interview Matthieu Peché - Canoë-kayak | Allyteams

Matthieu a remporté la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Rio en 2016 avec son coéquipier Gauthier Klauss en canoë biplace. Il est aujourd’hui manager général de la team Counter-Strike au sein de Vitality.

Participation aux Jeux Olymiques 2012 et 2016.
Médaille(s): 1 x bronze.

Matthieu, pourriez-vous nous expliquer comment se déroulait une saison de canoë biplace ?

En saison non olympique, nous avions le championnat du monde qui se déroulait généralement au mois de septembre.

Nous faisions donc en début de saison un rétroplanning en partant du jour de la finale de ce championnat et planifiions toute notre saison pour atteindre notre pic de forme le jour de la finale.

Nous commencions par un entraînement hivernal permettant d’acquérir l’endurance nécessaire avant de débuter le travail sur l’eau. Nous acquérions cette endurance en pratiquant du ski de fond, de l’escalade, de la course et du vélo.

Nous mêlions également ces séances avec des entraînements plus spécifiques ainsi que de la musculation.

Lors de nos dernières années de carrière avec Gauthier (Klauss), nous avions un emploi à Paris dans le domaine du marketing et de la communication. Nous travaillions du lundi au jeudi et repartions le jeudi soir dans les Vosges pour nous entraîner sur l’eau. Cet emploi du temps nous obligeait à couper notre semaine en deux, nous faisions des entraînements physiques du lundi au jeudi, et du vendredi au dimanche nous nous entraînons sur l’eau.

Ensuite, chaque année fin janvier, nous partions en Australie ou à Dubaï pour reprendre le contact avec l’eau vive et accumuler les heures de navigation. Nous partions 1,5 mois pour nous préparer aux sélections de l’équipe de France,ce qui constituait la première étape importante de la saison car c’était le passage obligatoire pour espérer se qualifier pour la saison internationale (championnat d’Europe, coupe du monde, championnat du monde). Pour représenter l’équipe de France pendant ces compétitions, il fallait nécessairement terminer parmi les trois premiers bateaux aux championnats de France.

Une fois la qualification acquise, la première course à enjeu de la saison était celle du championnat d’Europe. Nous avions, après cette course, la coupe du monde qui se déroule en 5 étapes, dans 5 pays différents. Durant cette période de coupe du monde, nous alternions entre épreuves et camps d’entraînement sur les différents bassins car chacun d’entre eux a sa spécificité.

Enfin, nous avions le championnat du monde qui est la course la plus importante de la saison, et pour les Français c’est celle-ci qui permet de rentrer sur listes ministérielles. Nous jouions toute notre saison sur cette course d’un jour.

Une fois tous les 4 ans, lorsqu’il y avait les Jeux olympiques, il n’y avait pas de championnat du monde.

Prépariez-vous toutes vos saisons de canoë biplace de la même manière ?

Nous ne préparions pas toutes les saisons de manière identique car le corps est le même mais, au fil du temps et de l’évolution de notre carrière, nous avons appris à nous entraîner différemment.

Quand nous étions jeunes, nous passions énormément de temps à l’entraînement car il fallait que nous accumulions des heures d’entraînement pour minimiser le gap avec les bateaux d’expérience. Lors de nos dernières années de carrière, nous nous entraînions moins en termes de volume mais la qualité de nos entraînements était meilleure.

Par exemple, en 2017 l’année après notre médaille de bronze aux Jeux olympiques de Rio, il nous a fallu retrouver un nouvel objectif pour nous relancer après cette belle satisfaction.

Nous voulions devenir champions du monde car le championnat était organisé à Pau, un bassin que nous connaissions parfaitement. Pour atteindre cet objectif, nous avons réfléchi à ce que nous pourrions intégrer, en plus, dans notre préparation, pour optimiser nos chances de succès.

Nous avons décidé de travailler avec une orthoptiste, nous avons musclé nos yeux et mis en place un protocole d’échauffement avant chaque course. Même si nous ne pourrons jamais mesurer l’impact réel de cet apport, nous sommes persuadés qu’il est l’un des éléments qui, additionné à tous les autres, nous a permis de faire la différence et de remporter ce titre.

Vous avez pratiqué votre sport pendant toute votre carrière avec votre partenaire Gauthier Klauss, aviez-vous tous les deux la même préparation d’avant saison ?

Nous avions un tronc commun, nécessaire dans un sport d’équipe. En plus de ce tronc commun, nous avions chacun notre propre préparation. Par exemple, j’aimais beaucoup courir, Gauthier un peu moins. Il se dirigeait donc vers d’autres activités sportives.

Sur la partie individuelle, nous avions une réelle confiance l’un en l’autre car nous savions que chacun d’entre nous avait en vue la performance.

À titre personnel, j’avais besoin de m’imposer beaucoup de séances d’entraînement. Pour sa part, Gauthier avait besoin de plus de récupération, nous gérions donc en fonction de nos caractéristiques propres et de nos objectifs communs.

Comment gériez-vous les différents évènements pendant une saison (championnats de France, d’Europe, du Monde, Jeux olympiques etc.) ?

Les objectifs étaient clairs, c’était le championnat du monde avant tout.

Le championnat d’Europe était la première course internationale de la saison et nous n’avons jamais brillé car il fallait avoir un pic de forme pendant les sélections en équipe de France, qui se déroulaient avant le championnat d’Europe, pour se qualifier pour la saison internationale. Nous n’étions donc pas dans les meilleures conditions lors du championnat d’Europe.

Ce qu’il faut comprendre c’est que l’atteinte du pic de forme se joue à une semaine près. Par exemple, lors du championnat du monde en 2017, nous avons connu notre pic de forme le jour de la finale, et, comme à chaque lendemain de mon pic de forme, je suis tombé malade. C’est cet état de forme optimale, qui est à cheval entre la forme ultime de l’année et la maladie, que nous recherchions.

Chaque saison nous étions obligés d’être performants pour le championnat de France afin de décrocher notre place pour la saison internationale. Les autres courses (championnat d’Europe, coupe du monde) étaient en réalité des entraînements, des étapes intermédiaires nous permettant de nous régler pour être performants lors du championnat du monde.

Si nous n’aimions pas nous dire cela car nous voulions remporter toutes les courses sur lesquelles nous étions engagés, nous avions conscience de parfois nous aligner à une course en sachant qu’au regard de l’important volume d’entraînement que nous nous étions infligé les jours précédents, nous ne serions pas dans notre meilleure forme.

Comment avez-vous géré vos blessures (ou vos méformes) ou celles de votre partenaire lors d’une saison ?

Nous avons eu de la chance d’avoir été épargnés par les blessures durant notre carrière. Gauthier s’est luxé l’épaule à la sortie de notre année des moins de 23 ans, l’année au terme de laquelle nous passions en catégorie « seniors ». Il a subi une opération et a été contraint de faire une saison blanche. De mon côté, j’ai également pris la décision de faire une saison blanche. Gauthier a suivi sa rééducation et nous sommes repartis ensemble la saison d’après sur de bonnes bases.

C’est la plus grosse blessure que l’un d’entre nous a connue. Nous avons cependant été confrontés à quelques petits pépins physiques ou maladies mineurs qu’il a fallu apprendre à gérer.

Par exemple, j’ai contracté une très grosse grippe quelques jours avant les sélections des JO de Rio en 2016 qui m’a contraint à rester alité pendant plusieurs jours.

Ce sont des événements compliqués à gérer, ce type de maladie impacte nécessairement la préparation et l’arrivée du pic de forme que nous avions planifié. Il faut également, à deux semaines des qualifications, gérer mentalement cet évènement. Ce n’est jamais aisé mais nous avons réussi à surmonter cet obstacle.

Nous avons été en difficulté sur la première des trois courses de qualification mais avons remporté les deux suivantes, puis avons remporté le bronze en finale. Parfois, la ligne entre la performance et la contre-performance est ténue, c’est la beauté du sport.

Dans l’ensemble, je dirais que nous nous sommes toujours bien gérés et nous le devons également à notre coach avec lequel nous avons collaboré pendant toute notre carrière.

Peut-il exister une frustration lorsque l’un des membres du duo est en grande forme et que l’autre n’est pas dans les mêmes dispositions ?

Bien sûr qu’une telle frustration peut arriver. Ce sont des moments complexes à gérer, beaucoup de duo en canoë biplace ont « explosé en vol » car ces moments complexes n’ont pas su être bien gérés.

Avec Gauthier, nous nous étions mis des codes, nous nous parlions franchement. Chaque matin nous n’hésitions pas à nous dire les choses. Nous n’avions pas de tabou car nous voulions justement éviter toute frustration et souvent celle-ci naît en l’absence de communication. Nous avons donc toujours accordé une place primordiale à la communication.

Avez-vous connu des échecs et comment les avez-vous gérés (individuellement et collectivement) ?

À mon sens, notre plus gros échec est notre 4ème place aux Jeux olympiques de Londres.

Nous avions gagné les qualifications, terminé 3ème en demi-finale, et nous finissons 4ème en finale.

J’ai toujours un souvenir en tête, celui de ranger le bateau seul après la finale et d’entendre la cérémonie de remise des médailles avec l’hymne national des vainqueurs, alors que Gauthier était au contrôle antidopage.

Le retour en France a été très difficile, et je n’ai pas voulu regarder la vidéo de la finale pendant 3 mois.

Cependant, dès le lendemain de la finale, afin d’éviter de nous plonger dans une période de doute, nous avons organisé une réunion avec notre coach et nous nous sommes immédiatement fixé un nouvel objectif : être champions olympiques à Rio 4 ans plus tard. Se fixer un objectif tout de suite après notre échec était primordial.

Pour atteindre cet objectif ultime, nous nous sommes fixé des objectifs intermédiaires avec les championnats du monde et des sous-intermédiaires avec les étapes de coupe du monde.

Le retour à la vie « normale » a également aidé à digérer cet échec car quelques semaines plus tard nous retournions en stage de fin d’études pour obtenir notre diplôme d’école de commerce.

Comment était constitué votre staff ?

Notre staff était restreint en raison du peu de moyens financiers que nous avions. Nous avions simplement notre entraîneur, Thierry Saidi qui était rémunéré par la Fédération.

Pour la petite histoire, quand nous avons commencé le canoë à l’âge de 7 ans, nous avons été entraînés par Emmanuel Del Rey qui avait participé aux Jeux olympiques à deux reprises en canoë biplace. À l’époque, son coéquipier était Thierry Saidi qui est devenu notre entraîneur lorsque nous sommes arrivés en équipe de France.

Nous avions donc que notre entraîneur dans notre staff, nous n’avions pas de médecin ou de kinésithérapeute. Quand Gauthier s’est blessé, c’est le médecin de l’équipe de France qui l’a diagnostiqué.

Lorsque nous vivions à Pau, les médecins et kinésithérapeutes de l’équipe de France étaient présents car la majorité vit à Pau, nous faisions alors appel à eux.

Lors des dernières années de notre carrière, lorsque nous étions dans les Vosges, nous avons créé notre propre cellule avec un médecin, un kinésithérapeute et un orthoptiste. Cette équipe travaillait avec nous mais ne nous était pas attitrée et nous payions nous-mêmes nos séances.

Avec le recul, avec quelle personne auriez-vous pu compléter votre staff ?

Le problème c’est que nous avons toujours été limités financièrement, tout comme notre Fédération. Nous avons tout de même essayé d’intégrer la préparation mentale mais nous n’avons pas ressenti le besoin de l’inclure dans notre préparation sur le long terme.

Avec le recul, j’ai conscience que la préparation mentale j’en aurais eu besoin au terme de ma carrière, car le moment le plus difficile de ma carrière fut sa fin, avec la sensation de n’avoir eu aucun soutien et d’avoir été débarqué du jour au lendemain.

Vous êtes depuis plus de 2 ans Manager Général de la team Counter Strike au sein de Vitality. Pourriez-vous nous expliquer comment s’organise le esport ?

Il est très difficile d’expliquer l’organisation du esport car nous sommes dans un écosystème en constante évolution, avec de nombreuses compétitions et d’évènements sans que nous puissions distinguer, à ce jour, une réelle organisation.

Ce que je peux vous dire, c’est que notre structure Vitality regroupe une dizaine d’équipes sur des jeux différents, ces jeux étant tous classés par importance, c’est-à-dire par « tiers », ce classement étant réalisé en fonction de l’audimat, des cash prize etc.

Counter Strike, le jeu de mon équipe est classé dans le « tiers 1 ».

Je compare le esport à l’entrepreneuriat, c’est-à-dire à un monde dans lequel les membres de l’écosystème pensent que tout est possible, et cette idée me plait. Parallèlement dans le sport traditionnel tout est différent. Il est très compliqué voire impossible de faire évoluer une fédération, de créer un plan de communication voire un simple compte Twitter.

En quoi le sport traditionnel et le esport se ressemblent selon vous ?

En tout point. À l’heure où nous échangeons, les joueurs viennent d’entrer en entraînement.

Ils s’entraînent le matin avec notamment une séance « stratégie », propre au jeu, puis de 13 heures à 18 heures, face à une autre équipe professionnelle. Ils font une pause entre 15 heures et 16 heures, et cette heure peut être mise à profit pour faire du sport.

Notre objectif est de mettre nos joueurs, à l’entraînement, dans des conditions identiques à celles des matchs. Par conséquent, petit à petit, nous ajoutons des détails pour améliorer les performances de chacun.

Qu’apportez-vous en tant que Manager Général aux joueurs de votre équipe ?

J’apporte un volet logistique. Je me sers de ma carrière de sportif de haut niveau pour optimiser la préparation des joueurs afin de leur permettre d’améliorer leurs performances individuelles, et donc la performance collective.

Cette optimisation passe, par exemple, par une meilleure gestion des déplacements à l’étranger, du décalage horaire, car il faut savoir que les joueurs passent deux tiers de l’année à l’étranger dans différents pays. À titre d’exemple, en 2019, mon équipe a passé 36 semaines à l’étranger.

Je suis présent au quotidien avec eux lors des camps d’entraînement et nous mettons nos joueurs dans les meilleures conditions pour performer.

L’objectif est de minuter les journées d’entraînement et de compétition pour que chaque joueur sache exactement ce qu’il doit faire pour être dans les conditions optimales. Comme dans le sport de haut niveau traditionnel, mon objectif est d’apporter une routine à ces joueurs et de travailler sur le moindre détail. Cela passe par une gestion du sommeil, de l’alimentation, de la récupération etc.

De plus, nous avons intégré la préparation physique. Il est obligatoire de suivre une préparation physique et cette obligation a d’ailleurs été insérée dans les contrats de travail des joueurs.

Il y a également de nombreux entraînements tactiques par équipe.

Il faut savoir que les joueurs sont 5 par équipe, par conséquent, de nombreuses composantes sont à prendre en compte. Lorsqu’un détail est modifié sur un joueur, cela peut avoir des incidences sur un autre joueur, nous devons donc composer avec tout cela.

De plus, notre équipe s’est renforcée depuis 2 ans, un staff « performance » s’est mis en place pour m’épauler, ce qui me renforce dans ce que j’ai pu apporter depuis mon arrivée en juin 2019.

Pensez-vous que l’amélioration de la performance des joueurs de esport passe par une transposition à leur discipline de la préparation suivie par un sportif de haut niveau traditionnel ?

Je pense en effet que certains aspects de la préparation du sport de haut niveau traditionnel permettent actuellement et permettront dans le futur d’améliorer les performances des joueurs de esport. En esport, les compétitions sont difficiles physiquement et s’enchaînent, si les joueurs ne peuvent pas suivre physiquement durant une compétition alors ils n’auront pas les bons réflexes et ne pourront être performants car le cerveau ne suivra pas. Il ne faut pas oublier que le cerveau est un muscle et que si le corps des joueurs n’est pas assez solide pour être concentré à 110% deux fois 3 heures dans la journée, la performance ne sera pas atteinte.