Pourquoi les entreprises s'arrachent les sportifs

6 août | Actualités | Fanny RENOU

Par Géraldine Dauvergne, Valérie Landrieu, Delphine Landrieu, Delphine Iweins et Florent Vairet. Article publié le 4 juin 2018 sur le site des Echos (lien).  


Tendance 

Qu'ils interviennent en conférence ou qu'ils se reconvertissent comme salariés, les sportifs sont des cibles de choix pour les entreprises. Elles viennent chercher des conseils précieux mais aussi l'occasion de dynamiser leur image.

Devenu récemment Rakuten, l'ancien PriceMinister fêtera son changement de nom lors de la Rakuten Expo, le 14 juin prochain. Consacrée au e-commerce, cette journée annuelle sera placée sous le signe de la performance.  François Gabart, navigateur vainqueur du Vendée Globe 2013 et détenteur du record du tour du monde en solitaire, en sera. Lorsqu'il n'est pas sur l'eau, le PDG de FG Mer Concept donne de nombreuses conférences en entreprise. Et il n'est pas le seul. Les sportifs sont incontestablement les vedettes des agences d'événementiel spécialisées dans la mise à disposition de conférenciers. Il y a fort à parier que nombre de chefs d'entreprise voudront tirer des leçons de management du parcours de Zinedine Zidane, à la suite de son départ du Real Madrid. Chez Brand and Celebrities, leurs conférences représentent la moitié de l'activité, loin devant celles des philosophes et économistes. Et au sein de l'agence Plateforme, présente sur le créneau depuis trente ans, les sportifs sont les speakers de près du quart des conférences, « une demande importante et constante ».

Le succès de ces conférenciers particuliers ne s'est jamais démenti depuis la Coupe du monde de 1998 et les prises de parole d'Aimé Jacquet. « Les sportifs s'appuient sur des exemples tirés de leur carrière et de leur palmarès pour théoriser des principes de management, explique Julien Boulenguer, directeur associé de la plate-forme Brand and Celebrities. Ce sont des figures très fortes, capables d'intellectualiser, qui s'exprimaient déjà remarquablement pendant leur carrière sportive. » L'ancien sélectionneur du XV de France, Bernard Laporte, concentre les qualités du bon conférencier sportif, selon Julien Boulenguer : « Un leader charismatique, capable d'emmener une salle comme un vestiaire. Par le niveau de performance qu'elles ont atteint, ce sont des figures extraordinaires, hors du commun. »

Pascal Dupraz, l'ancien entraîneur du Toulouse Football Club, ne dispense pas encore la bonne parole du coach dans les entreprises. Mais « lorsque j'étais en activité à Toulouse, j'aurais pu faire des conférences toutes les semaines », confie-t-il. Auteur, avec le spécialiste en management Frédéric Rey-Millet, d'un ouvrage à paraître le 12 juin prochain où il déroule ses méthodes*, il interviendra bientôt au Club APM devant des chefs d'entreprise - passionnés ou pas par le foot - pour donner son point de vue de manager.

Des conférences accessibles

Incontestablement, les entreprises ont un faible pour les sports collectifs. A commencer par le rugby, même lorsque les résultats sont décevants. « C'est tout simplement l'un des sports préférés des cadres supérieurs et dirigeants », rappelle le cofondateur de la plate-forme Brand and Celebrities. Quant au succès du handball, il ne se tarit pas, porté par les résultats de la France depuis bientôt deux décennies. « Les deux grands entraîneurs de l'équipe de France, Claude Onesta et Daniel Costantini, sont extrêmement demandés par les entreprises, poursuit Julien Boulenguer. Ils sont en mesure d'apporter un éclairage très précis sur le management directif ou le management participatif, tel qu'ils l'ont vécu sur le terrain. » Le football, plus populaire, recèle lui aussi quelques orateurs exceptionnels. « Franck Leboeuf raconte de l'intérieur comment l'équipe de France a remporté la Coupe du monde de 1998, d'autant mieux qu'il s'est, depuis, reconverti dans le théâtre. Il est capable de tenir en haleine son auditoire », confie avec admiration Julien Boulenguer.

Relativement accessibles (voir l'encadré ci-dessous), les interventions des sportifs en entreprise se révèlent très bénéfiques. Les témoignages et récits d'exploits d'anciens champions replongent dans l'émotion du moment et améliorent la mémorisation sur la base des émotions. « Des consignes de sécurité expliquées par un formateur sont vite oubliées. Les mêmes racontées par un aventurier ou un membre de la Patrouille de France deviennent inoubliables », précise Bruno Duvillier.

Au-delà de l'apprentissage, accueillir un ancien champion ou une grande figure du sport que l'on ne voit habituellement qu'à la télévision est très gratifiant pour les collaborateurs. « C'est une excellente manière de mobiliser, fédérer et récompenser les équipes, estime Julien Boulenguer. Le bon conférencier est celui qui apporte une réponse aux objectifs souhaités et qui s'adapte au public dans la salle. Aimé Jacquet ne sera pas forcément apprécié à sa juste valeur dans une start-up où les salariés ont moins de 30 ans. Les attentes de leaders d'une entreprise de l'aérospatiale seront différentes de celles de managers d'une force de vente d'un opérateur téléphonique. »

Fabien Galthié chez Capgemini Consulting

De son côté, Capgemini Consulting va plus loin que la simple conférence. Depuis trois ans, elle s'est arrogé les services de Fabien Galthié, ancien capitaine de l'équipe de France de rugby et actuel entraîneur de l'équipe de Toulon, qui contribue à l'offre « human capital analytics » du cabinet. Outre sa renommée, il apporte son expertise dans la gestion des talents et des carrières, qu'il conjugue à sa maîtrise du Big Data. « Les études de données ont fait leur entrée dans le milieu du rugby en 1999. Depuis, nous les utilisons pour déceler la fatigue d'un joueur, anticiper une blessure musculaire ou encore prévenir les contre-performances. Grâce à la vidéo et des trackers placés dans les chaussures, le monitoring de chaque joueur est précis », explique Fabien Galthié.

Pour ce champion, les passerelles avec le monde de l'entreprise sont évidentes. « Grâce aux données sur les salariés, nous pouvons anticiper les burn-out, identifier des moments de fragilité au cours d'une carrière et amener les salariés vers un pic de forme avant une échéance clef. » Chez Capgemini Consulting, les données ont permis de mettre en évidence une tendance à la démission chez un consultant, après trois ans sans interruption sur des missions longues, ou encore après une promotion importante qui lui offrait une plus grande visibilité en externe.

Mais les anciens sportifs de haut niveau sont-ils toujours  des salariés efficaces  ? La réponse est résolument « oui » pour Dominique Carlac'h, présidente de la société de conseil D&Consultants et ancienne athlète de haut niveau. « Le sport apprend ce que l'école n'apprend jamais : la programmation de la performance, assure-t-elle. Dans une entreprise, il y a des objectifs à atteindre avec une évaluation en fin d'année. Le sportif entre parfaitement dans ce schéma de fonctionnement. Et s'il devient manager, il gardera en tête que des résultats s'obtiennent toujours collectivement. » Pour Karine Baillet, double vice-championne du monde de raids multisport et chef d'entreprise, « toutes les qualités essentielles que le sportif développe dans sa discipline, il les transpose en entreprise ».

Objectif : faire rayonner l'entreprise

Au-delà des enjeux de performance, ces nouvelles recrues ont aussi pour but de faire rayonner l'entreprise. « Les sportifs véhiculent une image positive, de réussite et de fair-play dans laquelle les entreprises veulent se draper », explique Dominique Carlac'h. Mais pour cette ex-athlète, et désormais candidate à la présidence du Medef, les raisons de cet engouement ne sont pas toujours rationnelles. « J'ai toujours ressenti une fascination de la part du grand public pour ce que représentaient les sportifs. » Conscients de cet attrait pour ces personnes quelque peu hors du commun, les dirigeants ont à coeur de projeter ces fantasmes populaires sur leur entreprise. Vis-à-vis de leurs salariés, ils passent ainsi des messages et font parler de sujets cruciaux tels que le travail d'équipe, la nécessaire adaptation au changement, le dépassement de soi d'une manière plus décalée. « Finalement, que l'on soit un sportif de haut niveau ou un collaborateur, le changement est permanent, mais celui-ci doit être bien appréhendé ! » estime Karine Baillet.

Le sport collectif professionnel est un laboratoire d'expérimentation où l'on apprend - comme en entreprise - à accompagner les potentialités et comprendre les dynamiques. « Mais attention ! Les deux mondes ne sont pas complètement comparables. Il y a une intensité et une passion intrinsèques au sport qu'on ne doit pas s'attendre à retrouver en entreprise », explique Fabien Galthié.

*Une saison avec Pascal Dupraz - Leçons de leadership. (éditions Alisio - juin 2018)